Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lement. « Une extension telle du droit de propriété qu’elle laisse mourir de faim une partie des hommes ne peut pas être fondée dans la simple nature[1]. » Il y a chance que des germes de noblesse humaine plus nombreux arrivent à maturité, si la croissance de la race est drue et saine. Mais les pensées créatrices nouvelles ne s’épanouissent qu’à la cime[2]. Une aristocratie intellectuelle, qui plonge par ses racines dans une masse très abondamment pourvue de bien-être, mais qui s’élève au-dessus d’elle par une dure sélection et un robuste effort de sévérité envers soi {Härte gegen sich selbst) : c’est là l’image sous laquelle Schiller se représente la réalité sociale désirable. La vie est un écoulement sans fin de générations, qui s’améliorent. Mais ce qui vaut, c’est la beauté créée par une élite d’hommes voués à une vie de lutte et à une mort précoce. Ces pensées belles, la multitude qui passe, peut les vivre, mais elle ne les crée pas. C’est donc l’élite qui mène le monde invisiblement. Nietzsche, même au temps où sa notion de la beauté et de la morale différait de celle de Schiller, n’a pu oublier que sur le rôle de l’élite humaine dans le monde leur accord était profond.

  1. Schiller, Ueber naive und sentimentale Dichtung.
  2. Schiller, Votivtafeln : Die Verschiedene Bestimmung ; — das Belebende.