Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/72

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faite éternelle de l’action humaine, des figures héroïques se dressent en tableaux calmes. Wagner seul, selon Nietzsche, a su tirer parti de renseignement que Schiller empruntait ainsi à la tragédie antique.

Ainsi l’idéalisme de Schiller passe tout entier dans le Nietzsche de la première période. La rencontre évidente des doctrines de Schiller avec l’illusionnisme esthétique de Schopenhauer facilite l’emprunt. Mais cet idéalisme d’ailleurs consolidait Nietzsche dans sa croyance individualiste, à laquelle Schopenhauer apportait d’insuffisantes satisfactions. L’individu puise son courage dans une grande illusion affirmée par tout le besoin de son être intime. Cette illusion lui assigne sa tâche et cette tâche est individuelle. Il n’appartient pas à tous d’être fascinés par les mêmes idées. Voilà la fatalité dont rien ne console[1].


Alles Hoechste, es komm frei von den Goettern herab.


Chacun est donc à lui-même sa destinée ; aucun de nous ne peut s’affranchir de cette destinée intime. Schiller n’a pas créé le langage par lequel Nietzsche a fait ressortir l’importance d’une évaluation qualitative des hommes et des actes. Mais cette hiérarchie des valeurs est très présente à sa pensée. Et la valeur la plus haute n’existe qu’en un petit nombre d’hommes.


Majestät der Menschennatur ! dich soll ich beim Haufen
Suchen ! Bei wenigen nur hast du seit jeher gewohnt,
Einzelne wenige zählen, die übrigen alle sind blinde
Nieten, ihr leeres Gewühl hüllet die Treffer nur ein[2].


Cette foule subsiste pour que se perpétue la race. Il convient qu’on prenne soin d’elle moralement et matériel-

  1. Ceci a été bien vu par Udo Gæde, Schiller und Nietzsche als Verkünder der tragischen Kultur, p. 170.
  2. Schiller, Votivtaſeln : Majestas populi.