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armée de hauts faits » ne put sauver de la mort[1]. Vaguement, comme il l’a dû, si jeune et si dénué d’informations, il a eu la notion de cette vie dangereuse qui fut celle du peuple hellénique et qui le fît si grand, mais qui l’usa de si bonne heure :


Dir sang in den Wiege den Weihgesang
Im blutenden Panzer die ernste Gefahr[2].


Et sa seconde préoccupation fut de se demander comment a pu naître, au milieu de cette vie violente, la perfection harmonieuse de l’art attique. Entre Diotime et Hypérion, aux heures où la vie leur est douce « comme une île nouvellement éclose de l’Océan », aucune conversation ne revient plus souvent que celle de savoir ce qui a fait l’excellence des Athéniens. Le roman de l’Hypérion d’Hœlderlin, que Nietzsche adolescent a si souvent relu, pose dans toute son étendue le problème de savoir comment peut naître une civilisation cultivée. Une humanité héroïque, ivre de la force et de la beauté naturelles, voilà la race qu’Hœlderlin appelle de ses vœux ; et toute sa pensée se tourne vers les âges où les héros marchaient sur la terre comme un peuple de dieux. Mais il faut que cet héroïsme s’affine pour des besognes de beauté.

Est-ce la vertu de la cité grecque ? Hœlderlin déjà pensera que l’État n’est pour rien dans aucune œuvre de civilisation. L’État ne peut agir que par contrainte. Il peut construire une muraille autour d’une floraison humaine. Il n’en dispense pas les semences, et il ne peut faire tomber du ciel la rosée d’enthousiasme, d’amour, de pensée, qui la fait grandir. Est-ce le climat qui a fait l’esprit si pur, si fort et si mesuré de l’Attique ? Mais il

  1. Hymnus an den Genius der Jugend (I, 122)
  2. Hymnus an den Genius Griechenlands (I, 93).