Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a été le même pour les Spartiates. Lacédémone a devancé Athènes par la force passionnée. Mais la surabondance de la passion la dissolvait. Les Spartiates dégénéraient par excès de force. Sans Lycurgue qui châtia leur impétuosité par un code farouche, ils périssaient. Après lui, tout fut chez eux labeur et conscient effort. Le naturel leur manqua toujours. Ainsi Lacédémone est restée un fragment. Athènes seule « réalise » l’humanité intégrale rêvée par Schiller.

Ce qui assura aux Athéniens ce privilège, c’est la spontanéité de leur libre développement. La beauté de l’homme grandit d’elle-même, quand elle grandit sans contrainte. La civilisation est affaire de sélection heureuse, de croissance lente, à l’abri des désastres qui peuvent faire avorter l’incubation des germes. Les Athéniens sont venus tard. On n’entend rien d’eux jusqu’à Pisistrate. À la guerre de Troie on les signale à peine. Hœlderlin fait remonter jusqu’à cette guerre légendaire les causes de la fièvre de croissance trop rapide, qui consuma les tribus grecques. Nietzsche a su retenir l’idée. Avec plus de vraisemblance il attribua à une autre guerre, à la guerre médique, l’explosion d’orgueil qui fut si fatale à la Grèce ; à son habitude, il trouva des séductions à cette vie dangereuse : et il aima davantage les Grecs pour leur funeste délire.

Hœlderlin, dans la période où déjà il s’était assagi, préférait la médiocrité heureuse qui seule permet les sélections réussies. Le divin grandit dans l’ombre comme le diamant. Une destinée extraordinaire enfante des colosses et non des hommes. Nietzsche apprit un peu plus tard ce goût de la mesure et l’appréciation des qualités qui valent immatériellement.

Hœlderlin incline à penser qu’à la maturation lente des qualités de l’esprit, il faut des conditions négatives