Page:Arnaud - Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris, 2.djvu/169

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Mais nous, nous dont la vie, aux dépens de la leur,
Coule en ces doux loisirs que nous fit leur valeur,
Pourrions-nous oublier à quels périls s’exposent
Ceux sur qui nos destins tranquillement reposent ?
Pour sauver leur pays, voyez leur zèle ardent
À forcer le Danube, à franchir l’Eridan.
Voyez-les tout-à-coup délivrant l’Ausonie,
Dans son centre étonné pressant la Germanie,
En surprenant l’Europe et l’Afrique à la fois,
Par la rapidité de leurs vastes exploits.
L’agile Renommée à peine peut les suivre.
C’est pour eux qu’il s’agit de vaincre, et non de vivre.
Thèbes n’eut autrefois qu’un Epaminondas :
La république en nombre autant que de soldats.
Chacun est un héros plein de la noble envie
D’étendre sa mémoire au-delà de sa vie,
Et son regard perçant dans la nuit du tombeau,
De l’immortalité voit luire le flambeau.

Parmi tous ces guerriers dans la fleur de leur âge,
Toi, de qui la prudence égalait le courage,
Magnanime Desaix ! que ce beau dévoûment
Jette un durable éclat sur ton fatal moment !
Tout couvert de lauriers, un seul regret te reste,
Un seul penser l’occupe : ô guerrier trop modeste !
De toi-même toi seul tu n’es point satisfait ;
Pour la postérité tu crains d’avoir peu fait.
Desaix que ta grande ombre aujourd’hui se console !
Chez nos derniers neveux ta dernière parole
Retentira sans cesse, et de ton souvenir
Sans cesse entretiendra les siècles à venir.
Le premier des héros doit se connaître en gloire ;
Et c’est lui qui l’inscrit au temple de Mémoire.
Bonaparte s’honore, en sachant t’honorer.
Ta mort le fit gémir de ne pouvoir pleurer.