Page:Audoux - L Atelier de Marie Claire.djvu/77

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ler, je pris l’habitude de venir travailler tous les soirs avec elle.

Il arrivait qu’une robe à finir nous entraînait jusqu’au matin, et les autres nous retrouvaient avec des traits tirés et des gestes lents.

Bouledogue, qui montait toujours la première, nous jetait un coup d’œil furieux. Elle débarrassait la table des bouts de chiffons, en répétant ce qu’elle avait déjà dit tant de fois :

— Si personne ne voulait veiller, les clientes seraient bien forcées de s’en arranger.

Tout au fond de moi-même je lui donnais raison ; mais je ne voyais pas comment on eût pu faire autrement, et je lui en voulais d’ajouter ses reproches à notre fatigue.

Mme Dalignac ne répondait pas non plus. Je voyais clignoter un instant ses paupières, et, la minute d’après, elle distribuait l’ouvrage, en donnant les indications de sa voix douce et posée.

Ces jours-là, Bouledogue grognait sans arrêt.

Quand elle avait fini pour une chose, elle recommençait pour une autre. La maison neuve d’en face lui procurait mille occasions de se mettre en colère. Elle ne pouvait souffrir ses hautes fenêtres et ses larges balcons de pierre. Et sa voix semblait emplir tout l’atelier lorsqu’elle disait :

— C’est aux maisons des pauvres qu’il faudrait des balcons… Les vieux et les enfants pourraient s’y mettre au soleil ou y prendre le frais.