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LUTIN

les jambes ; le voilà tombé sur le nez ; on le relève et on le porte dans son lit bien malade. Léandre, satisfait de cette vengeance, retourna où ses gens l’attendaient ; il leur donna de l’argent et les renvoya dans son château, ne voulant mener personne avec lui, qui pût connaître les secrets du petit chapeau rouge et des roses. Il n’avait point déterminé où il voulait aller ; il monta sur son beau cheval appelé Gris-de-Lin, et le laissa marcher à l’aventure. Il traversa des bois, des plaines, des coteaux et des vallées sans nombre ; il se reposait de temps en temps, mangeait et dormait, sans rencontrer rien digne de remarque. Enfin il arriva dans une forêt, où il s’arrêta pour se mettre un peu à l’ombre, car il faisait grand chaud.

Au bout d’un moment il entendit soupirer et sangloter ; il regarda de tous côtés, il aperçut un homme qui courait, qui s’arrêtait, qui criait, qui se taisait, qui s’arrachait les cheveux, qui se meurtrissait de coups ; il ne douta point que ce ne fût quelque malheureux insensé. Il lui parut bien fait et jeune ; ses habits avaient été magnifiques, mais ils étaient tout déchirés. Le prince touché de compassion l’aborda : « Je vous vois dans un état, lui dit-il, si pitoyable, que je ne peux m’empêcher de vous en demander le sujet, en vous offrant mes services ? — Ah ! seigneur, répondit ce jeune homme, il n’y a plus de remède à mes maux : c’est aujourd’hui que ma chère maîtresse va être sacrifiée à un vieux jaloux qui a beaucoup de bien, mais qui la rendra la plus malheureuse personne du