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GRACIEUSE

son ennemie, et de vouloir bien se retirer, parce qu’on lui avait toujours dit qu’il ne fallait pas demeurer seule avec les garçons. Il répliqua qu’elle pouvait remarquer avec quel respect il en usait ; qu’il était bien juste, puis qu’elle était sa maîtresse, qu’il lui obéit en toutes choses, même aux dépens de sa propre satisfaction. Là-dessus, il la quitta, après lui avoir conseillé de feindre d’être malade du mauvais traitement qu’elle avait reçu.

Grognon fut si aise de savoir Gracieuse en cet état, qu’elle en guérit la moitié plus tôt qu’elle n’aurait fait, et les noces s’achevèrent avec une grande magnificence. Mais comme le roi savait que par-dessus toutes choses Grognon aimait à être vantée pour belle, il fit faire son portrait, et ordonna un tournois, où six des plus adroits chevaliers de la cour de vaient soutenir envers et contre tous que la reine Grognon était la plus belle princesse de l’univers. Il vint beaucoup de chevaliers et d’étrangers pour soutenir le contraire. Cette magote était présente à tout, placée sur un grand balcon tout couvert de brocard d’or, et elle avait le plaisir de voir que l’adresse de ses chevaliers lui faisait gagner sa méchante cause. Gracieuse était derrière elle, qui s’attirait mille regards. Grognon, folle et vaine, croyait qu’on n’avait des yeux que pour elle. Il n’y avait presque plus personne qui osât disputer sur la beauté de Grognon, lorsqu’on vit arriver un jeune chevalier qui tenait un portrait dans une boîte de diamans. Il dit qu’il soute-