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GRACIEUSE

nait à la reine, elle lui ferait mille maux. Il ne s’en émut pas davantage, et répondit seulement : « Je l’ai donnée à sa belle-mère, elle en fera comme il lui plaira. »

La méchante Grognon attendait la nuit impatiemment. Dès qu’elle fut venue elle fit mettre les chevaux à sa chaise roulante ; l’on obligea Gracieuse d’y monter, et sous une grosse escorte, on la conduisit à cent lieues de là, dans une grande forêt ou personne n’osait passer, parce qu’elle était pleine de lions, d’ours, de tigres et de loups. Quand ils eurent percé jusqu’au milieu de cette horrible forêt, ils la firent descendre et l’abandonnèrent, quelque prière qu’elle pût leur faire d’avoir pitié d’elle. « Je ne vous demande pas la vie, leur disait-elle, je ne vous demande qu’une prompte mort : tuez-moi, pour m’épargner tous les maux qui vont m’arriver. » C’était parler à des sourds ; ils ne daignèrent pas lui répondre : et s’éloignant d’elle d’une grande vitesse, ils laissèrent cette belle et malheureuse princesse toute seule. Elle marcha quelque temps sans savoir où elle allait, tantôt se heurtant contre un arbre, tantôt tombant, tantôt embarrassée dans les buissons : enfin, accablée de douleur ; elle se jeta par terre, sans avoir la force de se relever. « Percinet, s’écriait-elle quelquefois, Percinet, où êtes vous ? Est-il possible que vous m’ayez abandonnée ? » Comme elle disait ces mots, elle vit tout d’un coup la plus belle et la plus surprenante chose du monde : c’était une illumination si