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LA GRENOUILLE

elle demeura ferme dans ses sentimens, et pour conclusion, il fut résolu de la conduire sur le haut d’une montagne où le dragon du lac la devait venir prendre.

L’on prépara tout pour ce triste sacrifice ; jamais ceux d’Iphigénie et de Psyché n’ont été si lugubres : l’on ne voyait que des habits noirs, des visages pâles et consternés. Quatre cents jeunes filles de la première qualité s’habillèrent de longs habits blancs, et se couronnèrent de cyprès pour l’accompagner : on la portait dans une litière de velours noir, découverte, afin que tout le monde vit ce chef-d’œuvre des dieux : ses cheveux étaient épars sur ses épaules, rattachés de crêpes, et la couronne qu’elle avait sur sa tête, était de jasmins mêlés de soucis. Elle ne paraissait touchée que de la douleur du roi et de la reine, qui la suivaient accablés de la plus profonde tristesse. Le géant, armé de toutes pièces, marchait à côté de la litière où était la princesse ; et la regardant d’un œil avide, il semblait qu’il était assuré d’en manger sa part : L’air retentissait de soupirs et de sanglots ; le chemin était inondé des larmes que l’on répandait.

« Ah ! grenouille, grenouille, s’écriait la reine, vous m’avez bien abandonnée ! Hélas ! pourquoi me donniez-vous votre secours dans la sombre plaine, puisque vous me le déniez à présent ? Que je serais heureuse d’être morte alors ! je ne verrais pas aujourd’hui toutes mes espérances déçues ! je ne verrais pas, dis-je, ma chère Moufette sur le point d’être dévorée. »