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BIENFAISANTE.

Pendant qu’elle faisait ces plaintes, l’on avançait, toujours quelque lentement qu’on marchât, et enfin l’on se trouva au haut de la fatale montagne. En ce lieu les cris et les regrets redoublèrent d’une telle force, qu’il n’a jamais été rien de si lamentable ; le géant convia tout le monde de faire ses adieux et de se retirer. Il fallait bien le faire, car en ce temps-là on était fort simple, et on ne cherchait des remèdes à rien.

Le roi et la reine s’étant éloignés, montèrent sur une autre montagne avec toute leur cour, parce qu’ils pouvaient voir de là ce qui allait arriver à la princesse ; et en effet ils ne restèrent pas long-temps sans apercevoir en l’air un dragon qui avait près d’une demi-lieue de long ; bien qu’il eût six grandes ailes, il ne pouvait presque voler tant son corps était pesant, tout couvert de grosses écailles bleues et de longs dards enflammés ; sa queue faisait cinquante tours et demi ; chacune de ses griffes était de la grandeur d’un moulin à vent, et l’on voyait dans sa gueule béante trois rangs de dents aussi longues que celles d’un éléphant.

Mais pendant qu’il s’avançait peu à peu, la chère et fidèle grenouille, montée sur un épervier, vola rapidement vers le prince Moufy. Elle avait son chaperon de roses, et quoiqu’il fût enfermé dans son cabinet, elle y entra sans clef : « Que faites-vous ici, amant infortuné ? lui dit-elle. Vous rêvez aux beautés de Moufette qui est dans ce moment exposée à la plus