Page:Béranger, oeuvres complètes - tome 3.pdf/337

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« Je voudrais savoir s’il passe quelquefois dans les cœurs des autres hommes des puérilités pareilles à celles qui passent quelquefois dans le mien. Au milieu de mes études et d’une vie innocente, autant qu’on la puisse mener, et malgré tout ce que l’on m’avait pu dire, la peur de l’enfer m’agitait encore souvent. Je me demandais : En quel état suis-je ? Si je mourais à l’instant même, serais-je damné ? Selon mes jansénistes la chose était indubitable ; mais selon ma conscience il me paraissait que non. Toujours craintif et flottant dans cette cruelle incertitude, j’avais recours, pour en sortir, aux expédients les plus risibles et pour lesquels je ferais volontiers enfermer un homme si je lui en voyais faire autant. Un jour, rêvant à ce triste sujet, je m’exerçais machinalement à lancer des pierres contre les troncs des arbres, et cela avec mon adresse ordinaire, c’est-à-dire sans presque en toucher aucun. Tout au milieu de ce bel exercice, je m’avisai de m’en faire une espèce de pronostic pour calmer mon inquiétude. Je me dis : Je m’en vais jeter cette pierre contre l’arbre qui est vis-à-vis de moi. Si je touche, signe de salut ; si je le manque, signe de damnation. Tout en disant ainsi, je jette ma pierre d’une main tremblante, et avec un horrible battement de cœur, mais si heureusement qu’elle va frapper au beau milieu de l’arbre ; ce qui n’était pas difficile, car j’avais eu soin de le choisir fort gros et fort près. Depuis lors, je n’ai plus de doute de mon salut. » (On rit.)


« Voilà, messieurs, reprend Me Barthe, voilà la courte-paille de Béranger, voilà l’inquiétude du pauvre perclus.