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LES EXILÉS

Quand tu parais, on croit voir, à ta noble taille,
Un jeune Dieu cruel armé pour la bataille.
Ton regard, que la Grèce a tant de fois vanté,
S’embrase comme un astre au ciel épouvanté,
Et sur ton sein aigu, que la blancheur décore,
Tes cheveux rougissants ont des éclats d’aurore.
Encor tout jeune enfant par le jour ébloui,
J’eus pour maître Eumolpos, et je puis, comme lui,
Célébrer la fierté charmante et le sourire
D’une Déesse blonde, ayant tenu la lyre.
Mais lorsque je parus sous le regard serein
Des cieux, portant cet arc et ce glaive d’airain,
La terre gémissait, nourrice des colosses,
Sous la dent des brigands et des bêtes féroces.
Des bandits, embusqués près de chaque buisson,
Arrêtaient le passant pour en tirer rançon ;
Dans leur démence avide, ils bravaient les tonnerres
De Zeus ; tout leur cédait, et les plus sanguinaires,
Ayant jeté l’effroi dans les murs belliqueux
Des villes, emmenaient les vierges avec eux.
Les Dieux même oubliaient la justice. La peste
Soufflait sinistrement son haleine funeste
Dans les marais par l’eau dormante empoisonnés ;
Mordant les arbres noirs déjà déracinés,
Des monstres surgissaient, hideux, couverts d’écailles,
Renaissant du sang vil versé dans leurs batailles.
De lourds dragons ailés se traînaient sur les eaux
Dans leur bave, jetant le feu par leurs naseaux,