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LES EXILÉS

Ces rois, pétris d’azur, ne mangent pas de blé,
Et c’est pourquoi leur sang, qui n’est jamais troublé,
Court dans leurs veines, beau de sa splendeur première,
Comme un flot ruisselant d’éther et de lumière.
Aphrodite poussait des cris, comme un aiglon
Furieux, cependant que Phœbos-Apollon
Cachait Énée au sein d’un nuage de flamme,
De peur qu’un Danaen ne lui vînt ravir l’âme
En frappant de l’airain ce faiseur de travaux.
Mais dans le char brillant d’Arès, dont les chevaux
S’envolèrent au gré de sa fureur amère,
Aphrodite s’enfuit vers Dioné, sa mère ;
Iris menait le char rapide, et secouait
Les rênes, et tantôt frappait à coups de fouet
Les deux chevaux, tantôt pour presser leur allure
Leur parlait, caressant leur douce chevelure,
Employant tour à tour la colère et les jeux.
Ils arrivent enfin à l’Olympe neigeux,
Et dans le palais d’ombre où sur son trône songe
Dioné, dans la nue où sa tête se plonge.
Or, lorsque sans pâlir de l’amère douleur,
Calme, et comme une rose ouvrant sa bouche en fleur,
Aphrodite eut montré sa blanche main d’ivoire
Déchirée et meurtrie et qui devenait noire,
La Titane au grand cœur si souvent ulcéré,
Planant sinistrement d’un front démesuré
Sur les cieux dont au loin la profondeur s’azure,
Tressaillit dans ses flancs et lava la blessure.