Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/78

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de cailles désossées, de filets de perdreaux et de sandwichs infiniment variés, et coup sur coup vident leurs tasses où fume le thé de l’Inde, si finement et délicieusement parfumé, et par surcroît, en montrant leurs jolies dents carnassières et effroyablement blanches sous les lèvres de pourpre, causent de leurs amours.

— « Oui ! dit Déborah, je l’aime toujours, mon cher midshipman Edward Novel, car il est grand comme nous, blanc et tout rose, et sans un poil de barbe. Il a si bien l’air d’une fille que, dans les îles Polynésiennes, une reine a voulu le manger, et la moindre brise insensible éparpille sa fine et légère chevelure. Et vous, Ellénor, êtes-vous toujours férue de votre pianiste hongrois ?

— Oui, dit Ellénor, j’en raffole à cause de son air fatal. La musique le terrasse et l’abat comme ferait un vent d’orage. Quand il joue, les sanglots de l’instrument semblent sortir de sa poitrine brisée, et on dirait qu’il est lui-même un piano !

Je m’intéresse à lui parce que sans cesse on croit qu’il va mourir, et c’est en quoi je suis bien différente de ma sœur Amy. Car, sans doute, ce qui lui plaît chez sir Williams Sidney, c’est que ce lieutenant de horse-guards étouffe un cheval entre ses jambes, et avec deux doigts ploie en deux une pièce d’or. Mais il n’est pas le seul qui puisse accomplir ces tours de force.

— Aussi, dit Amy, n’est-ce pas pour cela que je l’adore. Si j’en ai fait mon dieu, c’est pour un autre motif. Il