Page:Banville - Les Belles Poupées, 1888.djvu/143

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Comme il m’a élevée et instruite, je suis assez savante aujourd’hui pour te le dire, tous les mots qu’on rapporte du Cercle des Mirlitons, ou de chez Tortoni, sont âgés de plusieurs milliers d’années, et, par un chemin très long, il est vrai, viennent des anciens poèmes. Neveu de l’ancien évêque de Clermont, Jean a eu pour précepteur le secrétaire de ce prélat, qui était un colosse de science ; aussi sait-il les langues anciennes et modernes, la musique, la poésie, l’histoire des religions, et tout le reste. Le soir, nous ne nous ennuyons nullement. Nous jouons du Wagner ou du Bach, sans être troublés par aucuns philistins ; puis, comme nous recevons tous les livres, tous les journaux et toutes les revues, nous lisons pour nous amuser, et si les nouveautés nous ont trop barbouillés, nous nous débarbouillons avec la bonne ambroisie du Ramayana et de l’Iliade. Nous lisons aussi, jusqu’à minuit, Victor Hugo, ou Théophile Gautier, ou Baudelaire ; et alors arrive naturellement l’heure impatiemment désirée et attendue de nous raccommoder !

Ainsi parlait madame de Cherfix, et la comtesse de Latil l’écoutait, bouche bée, comme un petit enfant écoute l’histoire de Peau d’Âne. Mais tout à coup, l’heureuse provinciale instinctivement regarda sa montre ; elle vit qu’il était