Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/200

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qu’on a perdu, soulevant la dalle du tombeau et vous montrant sa figure. Ce visage humain est à la fois infiniment désirable et terrifiant — à cause de lui et à cause de sa mort. Il s’exhale du fond de la terre, cadavre, et pourtant il est sous le ciel, puisqu’il est là, et qu’on le regarde. Derrière l’ombre de la tête, l’ombre de la main soutient la dalle.

« Je ne sais si c’est un mort ou une morte ; c’est une tête chère, dont les traits ont pour le cœur une vie poignante, dont l’image réalise le miracle d’être bonne ; mais elle est immobile et boueuse comme la terre, et quoique dirigée sur vous, elle n’entend rien. La bouche sourit, et c’est un mélange inexprimable d’amour et d’épouvante — parce que c’est son sourire, mais c’est aussi le rictus de la dernière seconde d’agonie. De quoi la bouche souriante est-elle humide… Sur quel monde d’infiniment petits, sur quel grand souffle glacé est-elle entr’ouverte ? Les yeux pleurent vaguement, mais c’est aussi du liquéfiement. On pense au souvenir dont l’empreinte demeure sur cette face, au corps qui est sous elle. Le corps, seul dans la nuit, confus, disparaissant, répandu, dans les cachettes du soi ; et la tête est là, blanche, éternelle épave qui flotte, qui s’approche, qui vous regarde, qui vous adresse son sourire et sa grimace… Doux monstre effroyable qui entr’ouvre la bouche du sépulcre, qui en sort, ami, qui y reste, ennemi !… »