Page:Barneville - Le Rythme dans la poésie française, 1898.djvu/119

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vement certains effets, qui semblent spéciaux à la peinture, mais ce n’est pas à l’aide des mêmes moyens. Le dessin et la couleur proprement dits ne jouent aucun rôle en littérature, pas plus que le rythme en peinture. Il n’y a, paraît-il, qu’une langue dont la poésie serait à la fois très exactement peinture et musique : le chinois. M. d’Hervey

    doit avant tout être prisée pour sa valeur musicale. Schopenhauer a développé cette théorie : « Le vers, dit-il, paraît n’avoir eu pour but que de réjouir l’oreille par sa sonorité et s’être acquitté par là de tout ce qu’on peut exiger de lui. Le sens qu’il renferme en outre, la pensée qu’il exprime, se présentent maintenant comme un surcroit inattendu, à l’instar des paroles dans la musique : c’est un cadeau inespéré qui nous surprend agréablement et dont nous nous contentons, quelque mince qu’il soit, puisque nous ne prétendions rien de semblable. Si, en plus, cette pensée est de telle sorte qu’en elle-même, c’est-à-dire exprimée en prose, elle possède une valeur, notre ravissement est à son comble. J’ai gardé de mon enfance ce souvenir que, pendant un temps, je me suis délecté à l’harmonie des vers, bien avant d’avoir découvert qu’ils renfermaient toujours un sens et des pensées. D’après cela, il ne faut pas s’étonner qu’il existe, et dans toutes les langues, je pense, une poésie de pure harmonie sonore et dépourvue presque totalement de sens. » (Le Monde comme Volonté et comme Représentation. Traduction Cantacuzène.)