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ANTOINE.

quibus aliquid existimare possern, rudem aut ignarum esse visum. Sed fuit hoc in utroque eorum ut Crassus non tam existimari vellet non didicisse quàm illa despicere, et nostrarum hominum in omni genere prudentiam Græcis anteferre. Antonius autem probabiliorem hoc populo orationem fore censebat suam, si omninò didicisse nunquàm putaretur. Atque ità uterque se graviorem fore si alter contemnere, alter ne nôsse quidem Græcos videretur. Voilà l’exorde du IIe. livre de l’Orateur. Ajoutez-y ce qu’il y dit de lui-même [1], qu’il ne lisait les auteurs grecs que pour se divertir, qu’il n’entendait rien aux livres des philosophes : Verbum prorsùs nullum intelligo, ità sunt angustis et concisis disputationibus illigati ; qu’il laissait là les poëtes, dont le langage n’était point humain, et qu’il s’arrêtait aux historiens ou aux orateurs qui s’étaient humanisés avec les demi-savans : Videantur voluisse esse nobis, qui non sumus eruditissimi, familiares. Dans la suite de ce livre, ce n’est plus Cicéron qui parle, et l’on entend dire, entre autres choses, à Marc Antoine ce qui suit : Ego ista studia non improbo, moderata modò sint : opinionem istorum studiorum et suspicionem artificii apud eos qui res judicent oratori adversariam esse arbitror, imminuit enim et oratoris autoritatem, et orationis fidem [2]. Voilà le fondement de la conduite que Cicéron lui attribue : Erat memoria summa, nulla meditationis suspicio, imparatus semper aggredi ad carendum videbatur ; sed ità erat paratus, ut judices, illo dicente, nonnunquàm viderentur non satis parati ad cavendum fuisse [3]. Je me souviens à ce propos d’une remarque de M. Daillé sur la différence qui se trouve entre faire l’orateur et être orateur [4]. Cette remarque est très-bonne.

  1. Idem, ibid., cap. XIV. Voyez-le aussi cap. XIX.
  2. Idem, de Oratore, lib. II, c. XXXVII.
  3. Idem, in Bruto, cap. XXXVII.
  4. Daillé, Réponse au P. Adam, IIIe. part., pag. 156.

ANTOINE (Marc), fils aîné du précédent, eut le surnom de Crétique [a]. Il ne s’avança pas au-delà de la préture ; mais il l’exerça avec une étendue d’autorité qui n’était pas ordinaire, vu qu’ayant eu la commission de faire venir des blés, cela lui donna le commandement sur toute la mer [b]. Ce fut une prérogative qu’il obtint par la faveur du consul Cotta [c], et par la faction de Céthégus [d], et dont on ne murmura pas, comme l’on eût fait, s’il eût eu plus de mérite (A). On prétend qu’il se laissa corrompre par de mauvais conseils, pour faire des extorsions dans les provinces. Il en fit beaucoup [e]. Celles de la Sicile ont été représentées en peu de mots par Cicéron [f]. La guerre de Crète, dont il avait cru que le bon succès serait si facile, qu’il avait embarqué moins d’armes sur la flotte, que de fers pour enchaîner les vaincus [g], ne lui ayant pas réussi, il tomba malade de chagrin et en mourut. Il n’eut pas la force de résister aux réflexions mortifiantes qui s’élevaient dans son âme, lorsqu’il songeait que les ennemis, s’étant rendus maîtres de plusieurs de ses vaisseaux, avaient pendu aux mâts les soldats romains, et que, voguant avec ce spectacle, ils triomphaient in-

  1. Plut. in M. Antonio, pag. 915.
  2. Paterculus, lib. II, cap. XXXI.
  3. J’examinerai dans l’article Céthégus, si Cotta était consul lorsque Marc Antoine reçut cette commission.
  4. Ascon. Pedianus in Orat. Cic. contra Verrem, pag. 113.
  5. Ascon. Ped. in Orat. Cicer. contra Verrem, pag. 113. Voyez-le aussi, pag. 37.
  6. Cicero, Orat. III in Verrem, cap. XCI ; voyez-le aussi. Orat., in Verrem II, cap. III.
  7. Florus, lib. III, cap. VII.