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ANTOINE.

solemment de la république en mille lieux. Julie, sa seconde femme (B), lui donna trois fils, savoir, Marc Antoine, Caïus Antoine, et Lucius Antoine [a], dont nous parlerons dans la suite.

J’aurai quelques fautes à relever (C) ; et peut-être faudrait-il prendre pour une erreur l’éloge qui a été donné par Plutarque à notre Antoine (D).

  1. Glandorp. Onomastic. pag. 73.

(A) On eût murmuré de lui voir le commandement sur toute la mer, s’il eût eu plus de mérite. ] Velléius Paterculus me fournit cette pensée : c’est dans l’endroit où il rapporte que Pompée obtint une commission, deux ans après, qui le rendit presque maître de toute la terre. Cela ne lui fut point accordé sans opposition, au lieu qu’on n’avait rien dit contre le décret qui avait mis une semblable puissance entre les mains de Marc Antoine. C’est qu’on n’avait pas jugé qu’il fût capable de se faire craindre ; mais on trouvait dans Pompée un mérite redoutable à la liberté publique : Idem hoc ante biennium in M. Antonii præturâ decretum erat, sed interdùm persona, ut exemplo nocet, ita invidiam auget aut levat. In Antonio homines æquo animo passi erant : rarò enim invidetur eorum honoribus quorum vis non timetur ; contrà in iis homines extraordinaria reformidant, qui ea suo arbitrio aut deposituri aut retenturi videntur, et modum in voluntate habent [1]. Voilà un beau texte pour les faiseurs de commentaires politiques. Je le leur abandonne presque tout entier ; car je me contente de cette petite observation. On se plaint que les mêmes choses, qui devaient faire monter un homme aux grandes charges, l’’empêchent d’y parvenir. Estamos à tiempo, disait George de Monte Mayor, que mererer la cosa, es principal parte para no alcançarla : c’est-à-dire, et ce sont les termes du président du Vair : En ce temps, rien n’a tant empesché les honnestes gens d’avoir des biens et honneurs, que de les mériter [2]. Cette plainte est trop souvent bien fondée : mais il y a des rencontres où elle n’a pas assez de solidité ; car, pour mériter une charge, il ne suffit pas d’avoir les qualités nécessaires à la bien remplir selon toutes ses fonctions, il faut de plus que ces qualités ne soient point jointes à certains défauts, qui font qu’on abuse de la gloire que l’on acquiert en s’acquittant de ses emplois avec toute la capacité et avec tout le succès imaginable. Le mélange de ces défauts, proprement parlant, peut rendre indignes d’une charge ceux qui en seraient les plus dignes par leurs belles qualités. Ce n’est donc pas toujours une injustice, que de refuser à certains sujets les charges qu’ils sont très-capables de bien exercer : c’est une précaution, c’est une prudence nécessaire, et principalement dans les républiques. Les qualités éminentes inspirent beaucoup d’ambition. Donnez lieu à ceux qui les possèdent de rendre des services importans à leur patrie, vous allumez de plus en plus le feu de cette ambition ; la gloire qu’ils acquièrent en s’acquittant dignement d’une grande charge leur inspire le dessein d’abuser de leur crédit, et leur montre qu’il sera aisé de monter plus haut. Ils tentent la fortune ; ils aspirent quelquefois à la souveraineté : et soit qu’ils y réussissent, soit qu’ils n’y réussissent pas, ils font naître mille désordres que l’on aurait évités en donnant les charges à des personnes d’un mérite médiocre.

(B) Julie, sa seconde femme. ] Elle était fille de Julius César, consul l’an de Rome 664, et sœur d’un autre Julius César, consul l’an 690. Sa vertu et son mérite l’égalaient aux plus illustres dames de son temps : Ταῖς ἀρίςαις τότε καὶ σωϕρονεςάταις ἐνάμιλλος. Cum præstantissimis et pudicissimis illius memoriæ matronis comparanda [3]. Elle ne fut pas des plus heureuses en maris ; car après la mort de Marc Antoine le Crétique, elle épousa Publius Cornélius Lentulus, qui fut l’un des complices de la conjuration de Catilina, et l’un de ceux à qui ce crime coûta la vie. Ce qu’elle fit, pour sau-

  1. Vell. Paterculus, lib. II, cap. XXXI.
  2. Voyez Pierre Matthieu, à la fin de la préface de l’Histoire de la Paix.
  3. Plutarch., in M. Anton., init., pag. 916.