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ANTOINE.

ver Lucius César son frère mérite de l’admiration [1]. Il fut proscrit pendant le triumvirat, et s’alla cacher chez elle. Les soldats allaient l’y chercher pour le mettre à mort ; mais elle se mit à la porte, et leur déclara qu’ils n’entreraient point avant que de la tuer, elle qui avait mis au monde Marc Antoine dont ils voulaient exécuter l’ordre. Cela les fit retirer [2]. La première femme de notre Antoine s’appelait Numitoria : elle était fille de Quintus Numitorius Pullus. On l’appelle la fille d’un traître dans les Philippiques de Cicéron [3].

(C) J’ai quelques fautes à relever sur son sujet. ] Thysius, professeur en éloquence dans l’académie de Leide, a fait une note qui peut nous donner une mauvaise opinion de son savoir. Cette note se rapporte à ces paroles de Lactance : De Neptuni sorte manifestum est, cujus regnum tale fuisse dicimus quale M. Antoni fuit infinitum illud imperium, cui totius oræ maritimæ potestatem senatus decreverat ut prædones persequeretur ac mare omne pacaret [4]. Thysius prétend, qu’au lieu d’Antonii, il faut lire Pompeii, qui est la leçon des bons manuscrits ; et sur cela, il rapporte que Pompée fut nommé Neptune, et que plusieurs de ses statues furent ornées des enseignes de cette divinité. Il s’abuse : on ne peut douter que Lactance, qui possédait parfaitement Cicéron, n’ait eu égard au passage de la IVe. Verrine, qui va être copié : Postquàm Marci Antonii infinitum ullud imperium senserant [5], ou à ces paroles de l’oraison suivante : Ità se in isto infinito imperio Marcum Antonium gessisse, ut, etc. [6]. L’un des fils de Vossius eût pu épargner cette fausse note au professeur de Leide : car il remarque dans un livre, qui fut imprimé treize ans avant le Lactance de Thysius, que Thomasius a eu grand tort de mettre Pompeii, au lieu d’Antonii dans son édition de Lactance ; et il le prouve par l’autorité de Cicéron, et par celle de Paterculus [7]. J’ajoute qu’il croit que Florus a parlé du même Antoine, en disant : Quùm ille (Pompeius) res in Asiâ gerens eò quoque præfectum misisset Antonium in alienâ provinciâ inclytus fuit [8]. Il montre que Florus a confondu cet Antoine avec Octavius, qui, selon Plutarque [9], et Dion [10], fut envoyé dans l’île de Crète par Pompée, lorsque Métellus y commandait. Il a plus de raison en cela, qu’à dire qu’il faut corriger dans Plutarque le surnom de Criticus donné à ce Marc Antoine, et lire Creticus. Je ne sais point de quelle édition de Plutarque il se servit ; mais j’ai trouvé Κρηικὸς dans l’édition de Francfort de 1620, et dans celle de Paris de 1624. Je voudrais qu’il eût pris la peine d’examiner une erreur chronologique qui paraît être dans Paterculus. Cet historien assure qu’il ne se passa que deux ans entre la charge qu’on donna à Marc Antoine, et celle que l’on donna à Pompée ; et néanmoins, Asconius Pedianus rapporte que Marc Antoine l’obtint par la faveur d’un consul appelé Cotta. Je touche cette difficulté dans l’article Céthégus.

(D) Peut-être faut-il prendre pour une erreur l’éloge qui a été donné par Plutarque à notre Antoine. ] « Marc Antoine, dit-il [11], était bon et droit, et fort libéral. Comme il n’était point riche, les oppositions de sa femme gênaient beaucoup son inclination à faire paraître sa libéralité. Il se trouva sans argent un jour qu’un de ses amis lui en empruntait ; mais il ne laissa pas de le secourir. Il se fit porter de l’eau dans un gobelet d’argent, sous prétexte de se raser : il mouilla sa barbe, et renvoya son laquais, et donna le gobelet à son ami. Tout le domestique fut en désordre : on cherchait partout ce gobelet ; la femme de Marc Antoine faisait un bruit effroyable, et voulait mettre tous les valets à la question. Il prévint cela, en lui avouant ce qu’il avait fait, et en la suppliant de lui pardonner. »

  1. Plutarch., in M. Anton, init., pag. 916.
  2. Idem, ibid., pag. 924.
  3. Tiré de Glandorp, pag. 74 et 75.
  4. Lactant., lib. I, cap. I, pag. 34.
  5. Cicero, Orat. II in Verr., cap. III.
  6. Idem, Orat. III in Verr., cap. XCI.
  7. Gerardus Vossius, Not. in Vell. Paterculum, pag. 55, edit. 1636 : il cite Cicéron, Verrinâ I ; mais il fallait le citer Verrinâ II et III, dd. II.
  8. Florus, lib III, cap. VII, et non pas cap. VIII, comme Gérard Vossius le cite.
  9. Plut., in Pompeio.
  10. Dio, lib. XXXVI.
  11. Plut., in M. Antonio, init., pag. 915, 916.