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ANTONIA.

quand elle voulait représenter un gros lourdaud. Sa fille fut une autre sorte de monstre : elle attenta à l’honneur et à la vie de son époux, et poussa jusqu’au bout ses attentats ; car elle fut convaincue d’adultère, et d’avoir empoisonné son mari. Le bras séculier, auquel elle fut livrée, fut sa propre mère, qui l’enferma dans une chambre, et l’y laissa mourir de faim (F). Les enfans de Germanicus qu’Antonia élevait chez elle ne lui donnèrent pas de petits chagrins. Elle veillait sur leur conduite ; mais sa vigilance ne servit qu’à la rendre témoin oculaire de leurs énormes dérèglemens. Elle surprit un jour Caligula en flagrant délit avec sa sœur [a] : ce misérable n’avait pas encore quitté la robe d’enfance, et il s’était déjà souillé d’un inceste capital. Lorsqu’il fut parvenu à l’empire, il fit décerner tout à la fois à son aïeule Antonia tous les honneurs que le sénat avait décernés à Livie [b] ; mais ce ne fut que par boutade, puisque dans la suite il ne tint aucun compte d’Antonia, et qu’il lui refusa une audience particulière. Ces affronts la plongèrent dans un chagrin qui la fit mourir : on a dit même qu’il employa le poison, afin de hâter les mauvais effets du chagrin (G). Il ne rendit aucun honneur à la défunte, et n’assista pas même à ses funérailles [c]. Le temple d’Antonia, dont Pline est le seul qui parle, devait apparemment son nom à cette princesse (H). Elle ne vit point les malheurs de sa (I) petite-fille Antonia, de laquelle M. Moréri n’a point parlé sans se tromper.

  1. Ex his (sororibus) Drusillam vitiâsse virginem pretextatus adhuc creditur : atque etiam in concubitu ejus quondàm deprehensus ab aviâ Antoniâ apud quam simul educabantur. Suet., in Caligulâ, cap. XXIV.
  2. Idem, ibid., cap. XV. Voyez aussi Dion, lib. LIX.
  3. Suet., in Caligulâ, cap. XXIII.

(A) Fille aînée de Marc Antoine. ] Suétone et Plutarque sont contre moi : le premier, formellement, et en propres termes [1] ; le second, d’une manière implicite : car il ne fait autre chose à cet égard que parler du mariage de l’une des deux Antonia avec Domitius, avant que de parler du mariage de l’autre avec Drusus [2]. Or, comme Suétone a écrit après Tacite, et qu’il semble même le réfuter quelquefois, ne vaudrait-il pas bien mieux lui donner la préférence, et présupposer qu’il n’a pris le parti contraire qu’à cause qu’il avait vérifié l’erreur de Tacite ? D’ailleurs, n’est-ce rien que l’arrangement des mots de Plutarque ? Que chacun en juge comme il lui plaira : j’ai suivi Tacite, sans prétendre rien contester à ceux qui suivront Suétone. Il y a deux passages de Tacite, l’un au chapitre XLIV du IVe. livre des Annales, l’autre au chapitre LXIV du XIIe. livre des mêmes Annales, où la femme de Domitius est nommée Antonia minor. Je vois que Lipse ne prend nul parti [3], et que Glandorp préfère celui de Tacite à celui de Suétone [4]. Il y a une raison pour Tacite, mais qui n’est pas concluante. On pourrait dire que Drusus, qui, en qualité de fils d’une impératrice toute-puissante, était un des plus grands partis de Rome, eut l’aînée des deux sœurs ; mais on peut répondre que l’Antonia qui lui fut donnée était parfaitement belle. Or c’est un droit d’aînesse beaucoup plus au goût d’un jeune prince (et il n’est pas besoin d’être jeune prince pour avoir ce goût), que celui qui n’est fonde que sur le plus grand nombre

  1. Germanicus C. Cæsaris pater, Drusi et minoris Antoniæ filius. Suet., in Calig., cap. I. Vide etiam in Claud., cap. I. Ex Antoniâ majore patrem Neronis procreavit (Domitius) Sueton., in Nerone, cap. V.
  2. Plutarch., in Marc. Anton., pag. 955.
  3. Lips., in Tacit. Ann., lib. XII.
  4. Glandorpii Onomast., pag. 87.