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APELLES.

regnante Alexandriam vi tempestatis expulsus, subornato fraude æmulorum plano regio invitatus, ad regis cœnam venit, indignantique Ptolemæo et vocatores suos ostendenti ut diceret à quo eorum invitatus esset, arrepto carbone exstincto è foculo imaginem in pariete delineavit, agnoscente vultum plani rege ex inchoato protinùs [1].

(C) Alexandre... le voyant amoureux de l’une de ses concubines.…. la lui céda. ] Pline raconte la chose de cette manière. Alexander ei honorem clarissimo præbuit exemplo, namque cùm dilectam sibi è pallacis suis præcipuè, nomine Campaspen, nudam pingi ob admirationem formæ ab Apelle jussisset, eumque tum pari captum amore sensisset, dono eam dedit. Magnus animo, major imperio suî : nec minor hoc facto, quàm victoriâ aliquâ ; quippè se vicit, nec torum tantum suum, sed etiam affectum donavit artifici : ne dilectæ quidem respectu motus, ut quæ modo regis fuisset, nunc pictoris esse. Sunt qui Venerem Anadyomenen illo pictam exemplari putant [2]. Élien parle de la même histoire ; mais il donne le nom de Pancaste à cette maîtresse d’Alexandre [3]. L’article de ce prince contiendra une remarque sur ce sujet [4] : nous ferons voir qu’un homme qui donnait à peindre toute nue la plus belle de ses concubines ne mérite pas les éloges de continent et de chaste qui lui ont été donnés.

(D) Il y a lieu de douter qu’il ait abusé autant qu’on le dit de la bonté d’Alexandre. ] Pline a beau dire qu’Apelles s’était rendu agréable à ce prince, par sa politesse et par sa douceur, il aura de la peine à persuader à ceux qui connaissent Alexandre, qu’un peintre lui ait dit impunément : Taisez-vous, les garçons qui broient mes couleurs se moquent de vous. Fuit et comitas illi propter quam gratior Alexandro Magno erat frequenter in officinam ventitanti…. Sed et in officinâ imperitè multa disserenti silentium comiter suadebat, rideri eum dicens à pueris qui colores tererent. Tantùm erat auctoritati juris in regem alioqui iracundum [5]. Il n’est point croyable qu’Apelles ait pu espérer qu’une expression aussi forte que celle-là, de quelque manière qu’on s’en servît, serait prise en bonne part ; et l’on a de la peine à croire qu’Alexandre, qui avait été si bien instruit et dont le génie était si beau, ait parlé assez impertinemment de la peinture, pour mériter la moquerie du plus petit apprenti. C’est le sentiment du docte Freinshemius : Non crediderim in officinâ imperitè multa disserentem ab Apelle mordaci dicterio repressum fuisse. Nam id neque majestati tanti regis, neque modestiæ pictoris, hominis non stupidi nec indocti convenisset ; et Alexander liberalibus studiis ab extremâ ætate imbutus, etiam de artibus quas non calleret haud ineptè judicare didicerat [6]. Pour ce qui est de Mégabyze, prêtre de Diane [7], il ne serait pas si étonnant qu’Apelles lui eût donné cet avis. C’est lui, si nous en croyons Plutarque, qui fut censuré de cette manière par Apelles : Ne voyez-vous pas, lui dit-il, que ces garçons qui broient l’ocre, et qui, pendant que vous ne disiez mot, ne jetaient sur vous que des regards de respect, à cause de l’or et de la pourpre de vos habits, ne vous ont pas plus tôt ouï raisonner d’une chose que vous n’entendez pas, qu’ils se sont moqués de vous [8] ? Un autre auteur dit que ce fut Zeuxis qui parla ainsi à Mégabyze [9]. On pourrait me persuader plus facilement la liberté dont on dit qu’Apelles usa envers Alexandre dans une autre rencontre. Alexandre ayant examiné son portrait, qu’Apelles venait de faire, ne le loua point selon son mérite. Peu après, on fit venir un cheval, qui hennit à la vue du cheval du même portrait, comme s’il eût vu un vrai cheval. Sire,

  1. Plinius, lib. XXXV, cap. X.
  2. Idem, ibid.
  3. Æliani Var. Hist., lib. XII, cap. XXXIV.
  4. Voyez les remarques (H) et (I) de l’article Macédoine.
  5. Plinius, lib. XXXV, cap. X.
  6. Freinshem. Supplem., in Curtium, lib. II, cap. VI.
  7. Plusieurs savans croient que Mégabyse était un nom affecté au prêtre de Diane. D’autres entendent ici par Mégabyse, un grand seigneur de Perse.
  8. Plutarchus de Discrim. Adulat. et Amici, pag. 58 ; et de Tranquit. Animi, pag. 471, 472.
  9. Æliani Var. Hist., lib. II, cap. II. Freinshemius, dans le chap. VI du IIe. liv. de ses Supplémens à Quinte-Curce, le cite comme ayant attribué cela à Apelles.