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APELLES.

nem ab animali exemplo in tabulas suas transfunderet [1].

(F) Personne ne s’est aperçu des erreurs qui se rencontrent dans la narration du fait de son tableau de la Calomnie. ] Voici comment Lucien l’expose. Le peintre Antiphilus, ne pouvant souffrir la faveur dont Apelles jouissait auprès du roi Ptolomée, l’accusa d’être complice de la conspiration de Théodote, gouverneur de Phénicie. Il soutint que l’on avait vu Apelles dînant avec Théodote et lui parlant à l’oreille pendant tout le repas : puis il vint apprendre que, par le conseil d’Apelles, la ville de Tyr s’était révoltée et que celle de Pélusium avait été prise. Cependant il était certain que l’accusé n’avait point été à Tyret qu’il ne connaissait Théodote que sous la qualité générale de gouverneur de Phénicie. Ptolomée s’emporta de telle sorte que, sans rien examiner, il fut tout prêt de faire mourir Apelles. Il ne considéra, ni la condition de l’accusateur, ni celle de l’accusé. Celui-là, par jalousie de métier, pouvait entreprendre la ruine d’un innocent, celui-ci était un trop petit particulier pour être capable d’un tel complot, quand même la reconnaissance de tant de bienfaits, dont Ptolomée l’avait comblé, n’aurait pas étouffé en lui les mauvaises intentions. Le prince ne faisait nulle attention à cela : il ne demandait pas si Apelles avait fait un voyage à Tyr ; il ne faisait que pester, et que jurer : et, si l’un des conjurés n’eût montré la calomnie d’Antiphilus, le dernier supplice de l’accusé était infaillible. Mais aussi, quand Ptolomée eut connu le crime de l’accusateur, il le condamna à être l’esclave d’Apelles, et donna cent talens à celui-ci. Voilà l’occasion qui porta Apelles à faire l’excellent tableau de la Calomnie, dont Lucien fait la description. C’est dommage qu’il l’ait faite sans s’apercevoir de son monstrueux anachronisme ; car la conspiration de Théodote regarde le règne de Ptolomée Philopator, qui ne commença que cent ans après la mort d’Alexandre [2]. Jugez si Apelles pouvait être alors en vie. Il faut établir de deux choses l’une : ou que Lucien parle d’un Apelles différent de celui qui fut si considéré d’Alexandre ; ou qu’il a confondu quelque complot tramé sous Ptolomée Philadelphe, avec la trahison de Théodote. N’y ayant point d’auteur qui nous puisse fournir des lumières sur quelque complot où la calomnie ait pu mêler notre peintre, ce serait peine perdue que de rechercher le fondement de l’erreur de Lucien. Voyons seulement s’il a eu en vue un autre Apelles que celui dont je parle dans cet article. Je ne saurais me le figurer ; car tout homme qui sait écrire se garde bien, lorsqu’il fait mention d’un peintre qui n’a rien de commun que le nom avec le grand et l’incomparable Apelles, de le nommer simplement Apelles. Il avertit qu’il ne parle pas du grand Apelles. Or, Lucien n’avertit point de cela, et tout ce qu’il dit mène en ligne droite au grand Apelles : c’est donc de lui qu’il prétend parler. Je sais bien qu’un homme docte fait fond sur l’épithète d’Éphésien. Ἀπελλε͂ς ὁ Ἐϕέσιο. Ad distinctionem illius Apellis qui sub Alexandro et Ptolomæo Lagi vixit maximi nominis et artis, Coi patriâ. Hic autem patriâ Colophonius, verum θέσει, id est adoptione fuit Ephesius, teste Suidâ, Pamphili Amphipolitæ discipulus [3] ; mais je sais aussi que d’autres ont donné cette épithète au grand Apelles [4]. Je puis même me servir de la raison contenue dans le passage que je cite ; car si Lucien a pu donner cette épithète à son Apelles, parce qu’il parlait d’un peintre né à Colophon, et adopté par les habitans d’Éphèse, je puis prétendre qu’il l’a donnée au grand Apelles, né dans l’île de Co, mais sans doute bourgeois d’Éphèse. Un homme de cette importance se serait-il établi dans cette ville, (c’est là qu’Alexandre le vit et le fréquenta) sans y recevoir tous les droits de citoyen ? Autre preuve. M. Tollius accorde que Lucien parle du même Apelles que Suidas ; or, Suidas ne parle que du grand Apelles. Je le prouve, 1o. parce qu’il ne parle que d’un Apelles : aurait-il laissé le

  1. Junius, in Catalago Artificum, in Apelle, pag. 19.
  2. Voyez Polybe, aux IVe. et Ve. liv. II en parle fort au long.
  3. Jacobus Tollius, Notis in Lucian., de Calunniâ, cap. II, n. 1.
  4. Strabon, Élien, Tzetzès.