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APELLES.

grand et l’illustre, pour ne parler que de l’obscur et de l’inconnu ? 2o. parce qu’il donne à son Apelles la qualité d’élève de Pamphile d’Amphipolis, qualité que Pline a donnée au grand Apelles [1]. Ainsi l’erreur de Lucien est évidente ; et je suis surpris que, ni Jean Baptiste Adriani [2], ni Carlo Dati [3], ni Francois Junius [4], ni tant d’autres célèbres auteurs, qui ont parlé de ce Traité de Lucien, ne l’aient pas aperçue, et qu’ils aient tous pris cette narration comme une aventure effective du grand Apelles. M. Tollius a très-bien connu que le crime dont on accusait Apelles se rapportait au règne de Ptolomée Philopator ; mais il n’a point connu que Lucien se soit trompé ; il a mieux aimé supposer que Lucien avait en vue un autre Apelles, contemporain d’Antiphilus, et disciple de Pamphilus. Je ne saurais dire en quel temps vivait Antiphilus, ni Ctésidémus, dont il fut élève [5] ; mais il est clair, selon Pline, que Pamphilus florissait au temps de Philippe, père d’Alexandre-le-Grand [6].

(G) Son chef-d’œuvre était le portrait de Vénus sortant de la mer. ] Auguste le consacra dans le temple de Jules César. Les parties inférieures en étaient gâtées, et personne ne fut capable de les rétablir. Le temps acheva de ruiner le reste, et alors Néron fit faire une autre Vénus par Dorothée, et la substitua à celle d’Apelles : Venerem exeuntem è mari Divus Augustus dicavit in delubro patris Cæsaris, quæ Anadyomene vocatur, versibus græcis tali opere dum laudatur victo, sed illustrato : hujus inferiorem partem corruptam qui non potuit reperiri. Verùm ipsa injuria cessit in gloriam artificis. Consenuit hæc tabula carie, aliamque pro eâ Nero principatu substituit suo. Ce sont les termes de Pline, au chapitre X du XXXVe. livre. Je rapporte, dans la remarque (C), le passage où il dit que la maîtresse d’Alexandre fut l’original d’après lequel cette Vénus fut tirée. L’article de Phryné [* 1] nous apprendra une tradition différente de celle-ci.

(H) Il eut achevé un plus beau portrait de Vénus, si la mort ne l’eût empêché de le finir. ] Si Calcagnini avait mieux aimé rapporter le témoignage des anciens auteurs, que dire les choses de sa tête, il n’aurait pas assuré qu’Apelles laissa volontairement imparfaite sa Vénus Anadyomène. La raison de cette conduite, dit-il, fut qu’Apelles désespéra que la conclusion fût digne du commencement : Sed ô me multò Apelle incautiorem ! ille enim tantâ felicitate Veneris emergentis partes superiores expressit, ut diffisus penicillo reliquas posse absolvere desperaverit, atque ità in admirationem posteritatis tabulam inchoas tam reliquerit [7]. Carlo Dati qui accuse cet auteur d’avancer beaucoup de choses, sans dire d’où il les prend, en donne deux autres exemples. Il est certain que les paroles de Pline convainquent de fausseté le Calcagnini : on va le voir : Apelles inchoaverat aliam Venerem Cois, superaturus etiam suam illam priorem. Invidit mors peractâ parte, nec qui succederet operi ad præscripta lineamenta inventus est [8]. Cicéron, en deux endroits de ses œuvres, dit simplement qu’Apelles laissa cette Vénus imparfaite [9].

(I) M. Moréri a pris l’un de ces tableaux pour l’autre. ] Voici comment il s’exprime : Les plus belles de toutes les pièces d’Apelles furent deux portraits de Vénus, dont l’une qui sortait de la mer fut nommée Anedyomène, et l’autre est celle qu’il fit pour ceux de l’île de Co, dont Ovide parle en ces termes :

Si nunquàm Venerem Cois pinxisset Apelles,
Mersa sub æquoreis illa lateret aquis.


Il cite Ovide in Sent. Il fallait citer le IIIe. livre de Arte amandi, v. 401. Il faut savoir qu’Apelles n’acheva pas le

  1. * [ Bayle n’a pas donné cet article. ]
  1. Plinius, lib. XXXV, cap. X, et initio cap. XI. Carlo Dati, Postille sopra la Vita d’Apelle, et le Père Hardouin sur Pline, tom. V, pag. 205, disent que Plutarque dans la Vie d’Aratus, dit qu’Apelles fut disciple de Pamphilus ; mais c’est un témoignage fort obscur. Plutarque, pag. 1032, semble plutôt dire qu’Apelles fut disciple de Mélanthus.
  2. Dans une lettre qui est à la tête du IIIe. volume du Vasari.
  3. Dans ses Postille sopra la Vita d’Apelle.
  4. In Catalogo Artificum, in Apelle.
  5. Plinius, lib. XXXV, cap. X, pag. 222.
  6. Id., ibid., pag. 206.
  7. Calcagnini, lib. XIII, pag. 177, apud Carolum Dati, pag. 145.
  8. Plinius, lib. XXXV, cap. X, pag. 212.
  9. Cicer., Epist. IX ad Famil., lib. I, et de Offic., lib. III, cap. II.