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APELLES.

second de ces deux portraits : Pline l’assure formellement [1]. Quelle apparence qu’Ovide, ayant deux portraits de Vénus à alléguer, l’un fini, l’autre à moitié fait, eût laissé celui-là, pour ne parler que de celui-ci ? Pour en user de la sorte, il faudrait ne savoir pas les plus communes lois du raisonnement. De plus, le second vers est une allusion manifeste à la Vénus Anadyomène, c’est-à-dire, sortant des ondes. Il s’agit donc du premier portrait. Nous savons que Vénus avait cette attitude dans celui-là, nous ne savons pas celle qu’elle avait dans le second. J’ajoute que si les deux vers d’Ovide étaient sortis de sa plume tout tels qu’on vient de les rapporter, il aurait très-mal raisonné : il faut donc les corriger en cette manière ; et alors ils formeront une preuve raisonnable de ce qui précède :

Si Venerem Cois nusquàm posuisset Apelles,
Mersa sub æquoreis illa jaceret aquis.


Les plus fins critiques aiment mieux Cous que Cois. Je crois qu’ils ont raison, encore qu’il soit apparent qu’Apelles fit sa Vénus Anadyomène pour les habitans de l’île de Co ; car c’est d’eux qu’Auguste l’obtint, et il leur remit en considération de ce portrait la somme de cent talens, sur le tribut qu’ils devaient à son épargne. Ils avaient cette Vénus dans le temple d’Esculape, avec l’Antigonus du même peintre. Lacter promontorium est Coæ insulæ in cujus suburbio est ædes Æsculapii nobilitata Antigono Apellis... conspiciebatur ibidem quoque ejusdem artificis Venus Anadyomene [2]. Ἡ νῦν ἀνάκειται τῷ θεῷ Καίσαρι ἐν Ῥώμῃ, τοῦ Σεϐαςοῦ ἀναθέντος τῷ πατρὶ τὴν ἀρχηγέτιν τοῦ γένους αὐτοῦ. Φασὶ δὲ τοῖς Κῴοις ἀντὶ τῆς γραϕῆς ἑκατὸν ταλάντων ἄϕεσιν γενέσθαι τοῦ προςαχθέντος ϕόρου [3]. Quæ nunc dedicata est divo Cæsari, Augusto consecrante patri generis sui patronam. Aiunt Cois pro picturâ fuisse remissa centum talenta de imperati tributi summâ. Pline pourrait bien avoir ignoré que la Vénus Anadyomène eût été faite pour l’île de Co : on ne doit donc pas s’étonner qu’il ne le dise que de la seconde Vénus d’Apelles.

Il me vient un scrupule que je m’en vais proposer : je ne sais si Pline ne multiplie pas les êtres sans nécessité, lorsqu’il nous parle d’une Vénus Anadyomène, et d’une autre Vénus commencée pour les habitans de l’île de Co. Le fondement de mon scrupule est que la première Vénus n’était dans l’état de perfection qu’à l’égard du haut du tableau. C’est Pline qui nous l’apprend, et qui ajoute qu’aucun peintre n’osa réparer ce qui s’en était gâté [4]. Or, l’autre Vénus n’était finie qu’à l’égard des parties supérieures, et aucun peintre n’eut le courage d’entreprendre ce qui y manquait. C’est encore Pline qui nous l’apprend [5]. Je crois qu’il est le seul qui fasse cette remarque touchant deux Vénus d’Apelles défectueuses aux mêmes endroits. Les autres auteurs ne la font que de la Vénus d’Apelles en général ; et lorsqu’ils parlent de cette Vénus, ils la mettent dans l’île de Co [6], et nous avons vu que c’est de cette île qu’Auguste tira la Vénus Anadyomène [7]. Il pourrait donc bien être que Pline a manqué d’exactitude. Je m’en rapporte à ceux qui voudront prendre la peine d’examiner mon petit doute.

(K) M. Moréri n’a pas bien rapporté ce qui concerne la peinture d’un cheval. ] Les anciens auteurs ont parlé avec grande estime, dit M. Moréri, d’un cheval, tiré tellement au naturel par Apelles, que les jumens hennissaient en le voyant. Je ne pense pas qu’aucun ancien écrivain ait dit cela ; mais voici ce que Pline nous apprend : Est et equus ejus, sive fuit, pictus in certamine : quod judicium ad mutas quadrupedes provocavit ab hominibus. Namque ambitu æmulos prævalere sentiens, singulorum picturas inductis equis ostendit : Apellis tantùm equo adhinnivêre, idque et posteà semper illius experimentum artis ostentatur [8]. Cela veut dire qu’Apelles, disputant contre quelques autres, à qui

  1. Voyez la remarque précédente.
  2. Junius, in Catalogo Artificum, in Apelle, pag. 22.
  3. Strabo, lib. XIV, pag. 657.
  4. Plinius, lib. XXXV, pag. 212.
  5. Ibidem.
  6. Vide Ciceron., de Offic., lib. III, cap. II ; de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XXVII ; in Verrem, Orat. IV, cap. IX.
  7. Ex Strabonis, lib. XIV, pag. 657.
  8. Plinius, lib. XXXV, pag. 213.