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APELLES.

peindrait mieux un cheval, et se défiant de l’intégrité des juges, aima mieux commettre sa cause à la décision des bêtes : on fit entrer des chevaux, ils ne hennirent qu’à la vue de l’ouvrage d’Apelles. Quelques-uns [1] croient que le conte d’Élien [2] n’est qu’une corruption de celui-ci ; c’est-à-dire, qu’ils croient que ce qui se passa entre Apelles et les juges du prix, lorsque ce peintre préféra le jugement d’un cheval au leur, a donné lieu de conter qu’il avait dit à Alexandre : Votre cheval s’entend mieux que vous en peinture. D’autres croient que ce sont deux aventures toutes différentes [3]. Pour moi, j’ai déjà fait connaître mon petit avis, qui est qu’il faut regarder comme une fable l’historiette rapportée par Élien. Le silence de Pline, dans une occasion si belle de parler, me confirme dans mon sentiment. Pline se serait-il tu touchant le cheval qui hennit dans la boutique d’Apelles en présence d’Alexandre, et touchant la conséquence qu’Apelles en inféra ? Pline, dis-je, se serait-il tu sur de tels faits, lorsqu’il rapportait l’autre aventure, où Apelles avait appelé du jugement des arbitres au jugement des chevaux ? Carlo Dati a observé que, dans aucun de ces deux cas, Apelles n’avait parlé en habile peintre, puisqu’il avait supposé que plus on était connaisseur, plus on prenait la figure pour l’objet même. Mais il fallait prendre garde que cette censure ne peut point tomber sur l’événement que Pline rapporte ; car Apelles ne préférait le jugement des chevaux à celui des hommes, que parce qu’il voyait que la brigue de ses rivaux avait corrompu les juges [4]. La remarque de Carlo Dati est très-bonne, quant au fond : il est plus facile de tromper ceux qui ne se connaissent pas en tableaux, que ceux qui s’y connaissent. Il cite Jean-Paul Lomazzo [5] : on peut citer désormais M. Perrault qui a très-bien réfuté les conséquences que l’on tire à l’avantage des anciens peintres, de ce qu’ils trompaient les hommes et les bêtes [6].

(L) Il ne passait aucun jour sans manier le pinceau, d’où naquit un fameux proverbe. ] C’est Pline qui nous l’apprend : Apelli fuit alioqui perpetua consuetudo nunquàm tam occupatam diem agendi, ut non lineam ducendo exerceret artem, quod ab eo in proverbium venit [7]. Carlo Dati remarque sur cela que Saumaise, pour confirmer ce proverbe, a cité comme un vers d’Horace ces paroles : Nulla dies abeat quin linea ducta supersit [* 1], qui ne sont ni d’Horace, ni d’aucun autre ancien poëte. Il ajoute, qu’il est arrivé très-souvent à cet auteur de se trop fier à sa mémoire : Non lascerò d’avvertire in questo luogo, che Claudio Salmasio, grandissimo critico dell’ eta nostra, nelle Dissertaz. Pliniane sopra Solino a 5, in confermazione di questo proverbio, fidandosi troppo della memoria, come bene spesso egli fece, cita un verso d’Orazio.…. il quale non è (ch’ io sappia) nè d’Orazio, nè d’altro poeta latino antico, ma forse uno di quei versi proverbiali che vanno per le bocche de gli uomini senza sapersene l’autore [8].

(M) Les physionomistes ne devinaient pas moins sur ses portraits que sur les originaux. ] Le grammairien Apion a débité sur cela une chose si peu croyable, qu’on aurait bien de la peine à ne la pas traiter de fabuleuse, quand même un auteur plus digne de foi, que ne l’est ce grand hâbleur, l’assurerait. Contentons-nous de savoir historiquement ce que Pline en dit : Imaginem adeò similitudinis indiscretæ pinxit, ut (incredibile dictu) Apion grammaticus scriptum reliquerit quemdam ex facie hominum addivinantem (quos metoposcopos vocant) ex iis dirisse aut futuræ mortis annos, aut præteritæ [9]. Pline lui-même ne saurait se persuader qu’à la vue d’un tableau bien ressemblant, on puisse

  1. * Ce vers, comme le remarque la Monnoie dans le Ménagiana, est d’Andrelinus. Voyez ma note, pag. 91.
  1. Schefferus in Æliani Var. Hist., lib. II, cap. III.
  2. Voyez la remarque (D).
  3. Carlo Dati, Postille sopra la Vita d’Apelle, pag. 128.
  4. Là même, pag. 129.
  5. Lib. III, cap. I, della Pittura.
  6. Parallèle des anciens et des modernes, Dialog. II, pag. 136.
  7. Plinius, lib. XXXV, cap. X, pag. 208.
  8. Carlo Dati, Postille sopra la Vita d’Apelle, pag. 107. Le Père Hardouin fait la même remarque. Voyez le tome V de son Pline, pag. 208.
  9. Plinius, lib. XXXV, cap. X, pag. 210.