Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181
APOLLINARIS.

c’est un Apollinaris qui vivait au temps de Martial [1], il est manifeste que ce n’est pas le nôtre. D’ailleurs tous ceux qui se plaisent aux vers ne sont pas poëtes : ainsi l’on a eu raison de contester au Giraldi la qualité de poëte qu’il a donnée à l’Apollinaris de Martial, et qu’il a fondée sur l’amour qu’avait cet Apollinaris pour les poésies de Martial : Eum in poëtis memorat Lilius, sed non sat firmo argumento ; nec enim si delectaretur epigrammatis, eo et ipse fuerit poëta [2].

(D). Aulu-Gelle..…. parle souvent d’Apollinaris, avec éloge [3]. ] Il l’appelle virum præstanti litterarum scientiâ [4] : hominem memoriæ nostræ doctissimum [5] : virum eleganti scientiâ ornatum [6] : virum in memoriâ nostrâ præter alios doctum [7]. Voyez le chapitre XIII de son XIIe. livre. Il lui donne une autre qualité, qui n’est pas moins estimable que l’érudition : c’est qu’Apollinaris n’avait pas cette fierté pédantesque, qui fait qu’on censure magistralement ceux qui s’émancipent à parler des choses dont ils ne sont pas bien instruits. Pour lui, il avertissait doucement de l’erreur. Aulu-Gelle en produit un illustre exemple ; car pour peu qu’Apollinaris eût été pédant, il eût pris le ton le plus aigre de la censure, dans l’occasion où Aulu-Gelle le représente revêtu de beaucoup d’honnêteté. On avait demandé en sa présence qui était un certain Cato Nepos, qui paraissait à la tête d’un volume ? Un jeune écolier prit la parole tout le premier, et se mêla de répondre à la question, et se trompa. La majesté professorale se trouvait là offensée ; un jeune homme avait prononcé sur une question en présence d’un professeur en grammaire, sans attendre que le grammairien eût dit son avis : cette précipitation n’était guère supportable ; néanmoins Apollinaris ne rectifia point la fausse réponse du jeune homme, sans débuter par des louanges, et par des honnêtetés : Tum Apollinaris, ut mos ejus in reprehendendo fuit, placidè admodùm leniterque, « Laudo, inquit, te, mi fili, quod in tantulâ ætate etiamsi hunc M. Catonem, de quo nunc quæritur quis fuerit ignoras, auditiunculâ tamen quâdam de Catonis familiâ aspersus es [8]. »

(E). Il se moqua adroitement d’un fanfaron d’érudition. ] Ce fanfaron se vantait chez un libraire d’être le seul qui entendît bien Salluste. « Je ne n’arrête pas, disait-il, à l’écorce, ou à l’extérieur de ses pensées : je vais jusqu’au sang et aux moelles. » Neque primam tantùm cutem ac speciem sententiarum, sed sanguinem quoque ipsum ac medullam verborum ejus eruere atque introspicere penitùs prædicaret. Apollinaris, recourant aux manières ironiques de Socrate [9], adressa la parole à cet homme avec un air respectueux, et se félicita de trouver si à propos un oracle à consulter sur un passage de Salluste, dont on lui avait demandé l’explication le jour précédent, sans qu’il eût pu la donner. Il lui demanda quelle différence mettait Salluste entre stolidior et vanior, quand il disait Cn. Lentulus.…. perincertum stolidior an vanior [10]. Le fanfaron répondit, d’un air méprisant, qu’il fallait proposer ces bagatelles à d’autres, et qu’il ne se donnait point la peine d’approfondir ce que tout le monde savait. Il ne laissa pas de faire clairement connaître son ignorance sur la question proposée ; mais quand il vit qu’on voulait le serrer de plus près, et qu’on se moquait de lui, il se retira sous prétexte d’avoir ailleurs des affaires. Apollinaris expliqua ensuite ce passage de Salluste, et prétendit que vanus signifiait un fourbe, et que stolidus signifiait un homme rude et grossier. Les paroles d’Aulu-Gelle sont dignes d’être rapportées ; elles peignent bien : Tum ille rictu oris labiarumque ductu

  1. Il lui adresse l’épigramme XXV, du VIIe. liv.
  2. Vossius, de Poët. Lat., pag. 50.
  3. Aulus Gell., Noct. Atticar., lib. VI, cap. VI, et lib. XIII, cap. XVI, et lib. XX, cap. VI.
  4. Idem, lib. IV, cap. XVII.
  5. Idem, lib. XIII, cap. XVII.
  6. Idem, lib. XVI, cap. V.
  7. Idem, lib. XVIII, cap. IV.
  8. Aulus Gell., Noct. Atticar., lib. XIII, cap. XVIII.
  9. Jactatorem quempiam et venditatorem Sallustianæ lectionis irrisit illusitque genere illo facetissimæ dissimulationis, quâ Socrates ad sophistas utebatur. A. Gellius, lib. XVIII, cap. IV.
  10. Sallustius, Histor., lib. XII.