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APOLLONIUS.

homme de s’emparer d’un écrit qui peut lui concilier cet honneur. Apollonius serait dans ce cas, comme il paraît par les propres termes de son apologiste. Il y a plus : il se vante quelquefois dans le sommaire général de ses huit livres d’avancer des choses nouvelles [1]. Jugez si ce n’était pas un puissant motif pour s’attribuer un pareil ouvrage. Je trouve donc qu’Eutocius le défend très-mal, et qu’il vaut mieux le justifier par le silence de Pappus son censeur, et son censeur un peu bien fâché. Et notez que Pappus, non-seulement ne l’accuse point d’être plagiaire ; mais aussi, qu’il le reconnaît formellement pour le vrai auteur des huit livres des Coniques, quoiqu’il prétende qu’Euclide avait déjà fait quatre livres sur ce sujet [2]. Il prend le parti d’Euclide contre Apollonius, qui a remarqué que cet illustre géomètre avait très-mal réussi dans un certain point. Il excuse Euclide sur ce qu’Apollonius même avait reconnu : c’est qu’avant les découvertes d’Apollonius il n’était pas possible de bien traiter ce point-là. Les principes dont on s’était servi auparavant ne suffisaient pas pour y parvenir. Il prétend qu’Euclide, plein de douceur, d’honnêteté et de modestie, s’attacha aux découvertes d’Aristée touchant les coniques, sans vouloir ni les combattre, ni enchérir pardessus, et qu’il s’arrêta d’où elles ne pouvaient point le faire aller plus avant ; mais qu’il se garda bien de dire que ce fût le point de la perfection : il aurait été blâmable en ce cas-là [3]. Remarquez, en passant, que ceci démontre la fausseté de la prétention d’Héraclius, qu’Archimède fut le premier qui écrivit touchant les coniques. Vossius n’a point pris garde aux preuves qui renversent cette prétention. Il observe comme quelque chose de justificatif pour Héraclius, qu’Archimède a renvoyé quelquefois à un ouvrage sur les coniques ; et cela, selon le style qui lui est propre quand il renvoie à ses écrits [4]. Il ajoute que Guido Ubaldus a prouvé contre Eutocius, qu’Archimède n’ignorait pas que les cônes peuvent être coupés par des plans qui ont une inclinaison différente au côté du cône [5]. Mais que fait cela pour prouver ce dont il s’agit ? Accordons qu’Archimède avait fait sur les coniques un ouvrage bon, beau, excellent : est-ce à dire qu’avant lui personne n’avait traité cette matière, ou que cet ouvrage fut volé par le plagiaire Apollonius ?

(E) Les Arabes ont été fort ignorans en chronologie à l’égard d’Apollonius. ] Ils ont dit qu’il a vécu au temps d’Achas, roi de Juda, et que ses écrits sur les coniques furent cause qu’Euclide écrivit des livres longtemps après [6]. Cette bévue est si étrange, qu’il y a lieu de s’étonner qu’Ecchellensis l’ait ménagée avec tant de précaution. Il s’est bien gardé de dire que l’auteur arabe qui a débité cela s’est abusé ; il dit seulement que cette chronologie paraît fort éloignée de la commune : In his longè videtur discrepare Gregorius à communi chronologorum sententiâ et opinione, qui Apollonium floruisse scribunt anno periodi Julianæ 4474.... discrepat prætereà ab iisdem chronologis in ætate Euclidis quem Apollonio juniorem agnoscit, ubi illi eum collocant in anno periodi Julianæ 4430 [7]. Ecchellensis vous laisse la liberté de choisir entre ces deux opinions : il eût mieux fait de décider que l’auteur arabe se trompe ; car cela est très-certain. Et notez que son erreur n’est pas une différence de quelques années : Achas commença de régner l’an 3970 de la période Julienne. Ptolomée Évergètes, sous qui Apollonius a fleuri, succéda au roi son père, l’an 4468 de la même période. L’abus est donc très-grand ; il enferme une différence d’environ cinq siècles.

(F) M. Moréri a fait ici bien des fautes. ] 1o. Il a donné simplement et

  1. Voyez la lettre d’Apollonius à Endemus, au commencement de son Ier. livre. Voyez aussi sa lettre à Attalus, au commencement du IVe. livre.
  2. Pappus, in Proœmio, lib. VII, Mathemat. Collect.
  3. Vous trouverez les paroles de Pappus dans la remarque de l’article d’Aristée le géomètre.
  4. Vossius, de Scient. Mathem., in Addendis, pag. 434.
  5. Guido Ubaldus, initio Commentarii in secundum ἱσοῤῥωπικῶν Archimedis.
  6. Gregorius Barhebræus, lib. III Chronicorum, in Achas, apud Abrah. Ecchellensem, Præf. in Apollon.
  7. Ecchellens., ibidem.