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APONE.

lui valut dix mille écus ; mais il observe que d’autres écrivent que Pierre d’Apone obtint de ce pape quatre cents écus par jour [1]. Il avait dit que ce Pierre ne sortait point de la ville pour voir des malades, à moins qu’on ne lui donnât cinquante florins. Vous trouverez, dans le Théâtre de Paul Freher, qu’il était professeur en médecine à Bologne, et qu’on l’appelait de tous les endroits de l’Italie pour voir les malades, quoiqu’il exigeàt cinquante florins par jour [2]. Vous y trouverez aussi qu’il stipula d’Honoré IV la somme de cent florins chaque jour, et qu’ayant guéri ce pape il en reçut mille. Voilà bien des variations.

(C) Il fut soupçonné de magie, et poursuivi par l’inquisition sur ce pied-là. ] Ce soupçon subsiste encore parmi bien des gens : disons même qu’ils font plus que soupçonner, et qu’ils passent jusqu’à la persuasion. La commune opinion de presque tous les autheurs est qu’il estoit le plus grand magicien de son siècle ; qu’il s’estoit acquis la cognoissance des sept arts libéraux par le moien des sept esprits familiers, qu’il tenoit enfermez dans un cristal ; qu’il avoit l’industrie, comme un autre Pasetes, de faire revenir en sa bourse l’argent qu’il avoit despencé [3]. Celui qui me fournit ces paroles ajoute qu’il est constant qu’il fut accusé de magie en l’an lxxx de son aage [4], et qu’estant mort en l’an 1305 [5], que son procès n’estoit encore finy, on ne laissa pourtant, au récit de Castellan [* 1], de le juger au feu, et de brusler un faquin de paille ou d’osier, qui le représentoit, dans la place publique de la ville de Padoue, pour supprimer par un exemple si rigoureux, et par la crainte d’encourir une semblable peine, la lecture de trois livres superstitieux et abominables qu’il avoit composez en icelle : le premier desquels estoit cet Heptameron, qui est maintenant imprime sur la fin du premier tome des œuvres d’Agrippa : le second, celuy qui est appellé par Trithème Elucidarium Necromanticum Petri de Albano ; et le dernier, un qui se nomme dans le mesme autheur, Liber Experimentorum mirabilium de annulis secundum 28 mansiones lunæ [6]. Voilà des preuves qui semblent fortes : néanmoins Naudé n’en fait pas grand cas. Il les réfute d’abord par cette remarque : c’est que Pierre d’Apone fut un prodige d’esprit et d’érudition dans un siècle de ténèbres ; or, cela était fort propre à le faire prendre pour un magicien, puisque d’ailleurs il s’était fort attaché aux sciences curieuses et divinatoires. C’est un homme, dit-il [7], qui a paru comme un prodige et miracle parmy l’ignorance de son siècle, et qui, outre la cognoissance des langues et de la médecine, avoit tellement recherché celle des sciences moins communes, qu’après avoir laissé des tesmoignages très-amples, par ses escrits de physiognomie, géomance et chiromantie, de ce qu’il pouvoit en chacune d’icelles, il les abandonna toutes, avec la curiosité de sa jeunesse, pour s’adonner entièrement à la philosophie, médecine et astrologie, l’estude desquelles luy fut si favorable, que, pour ne rien dire des deux premières, qui l’insinuèrent à la bonne grâce de tous les papes et souverains pontifes qui furent de son temps, et luy acquirent l’authorité qu’il a maintenant parmy les hommes doctes, il est certain qu’il estoit grandement capable en la dernière, tant par les figures astronomiques qu’il fit peindre dans la grande salle du palais de Padoue, et les traductions qu’il fit des livres du rabbi Abraham Aben-Ezra, joint à ceux qu’il composa des Jours Critiques, et de l’Esclaircissement de l’Astronomie, que par le tesmoignage du renommé mathématicien Regio-Montanus, qui luy a dressé un beau panégyrique, en qualité d’astrologue, dans l’oraison qu’il récita publiquement à Padoue, lorsqu’il y expliquoit le livre d’Alfraganus. Ensuite, Naudé observe que Pierre d’Apone déféra beaucoup à l’as-

  1. (*) In Vitis illustr. Medicorum.
  1. Secondo Lancelloti da Perugia, l’Hoggidi, parte II, Disinganno XVIII, pag. 377.
  2. Freher., in Theatro Viror illustr., pag. 1209. Il cite Bernardus Scardeonus, lib. II, classe IX, Historiæ Patavinæ.
  3. Naudé, Apologie des grands Hommes accusés de magie, chap. XIV, pag. 380.
  4. Cela est faux. Voyez la remarque (F).
  5. Cela est faux. Voyez la même remarque.
  6. Naudé, Apologie des grands Hommes accusés de Magie, chap. XII, pag. 38.
  7. Là même, pag. 382.