Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
.199
APONE

trologie [1], et que de là vient que beaucoup d’auteurs maintiennent une opinion directement contraire à celle des précédens, sçavoir : qu’il subit une telle condamnation, non point pour sa magie, mais parce qu’il voulut rendre raison des effects merveilleux qui arrivent le plus souvent en la nature, par la vertu des corps célestes, sans les rapporter aux anges ou démons. Ce qui est très-apparent par le recueil qu’a faict Symphorien Champier [* 1] des passages de ses Différences, qui ne doivent estre leus sans précaution, et par l’authorité péremptoire de François Picus, qui dict expressément, parlant d’iceluy [* 2] : Ab omnibus fermè creditus est magus ; verùm constat quàm oppositum dogma ei aliquandò tributum sit, quem etiam hæreseum inquisitores vexaverunt, quasi nullos esse dæmones crediderit ; à quoy il faut adjouster que Baptiste de Mantoue [* 3] l’appelle pour cette occasion Virum magnæ, sed nimiùm audacis temerariæque doctrinæ ; que Casmannus [* 4] le met au nombre de ceux qui rapportoient tous les miracles à la nature ; et que le Loyer, en ses Spectres [* 5], asseure qu’il se mocquoit des sorciers et de leur sabbat : d’où l’on se pourroit estonner que les mesmes autheurs le nomment en beaucoup d’autres endroits parmy les enchanteurs et magiciens, si ce n’estoit l’ordinaire de ceux qui escrivent sur cette matière de grossir tellement leurs livres, en copiant tout ce qu’ils trouvent dans les autres, que difficilement peuvent-ils observer le précepte du poëte :

Primo ne mediom, medio ne discrepet imum [2].


Après cela, son apologiste expose qu’il a de quoi le défendre, et du crime de magie et de celui d’athéisme, tant par le tesmoignage que l’illustrissime et religieux Frédéric duc d’Urbin a voulu rendre à ses mérites, luy dressant une statue parmy celles des hommes illustres qui se voyent en sa citadelle, que par l’attestation publique de la ville de Padoue, qui a faict mettre son effigie sur la porte de son palais, entre celles de Tite-Live, Albert et Julius Paulus, avec cette inscription sur la base : Petrus Aponus, Patavinus, philosophiæ medicinæque scientissimus, ob idque Conciliatoris nomen adeptus, astrologiæ verò adeò peritus, ut in magiæ suspicionem inciderit, falsòque de hæresi postulatus, absolutus fuerit [3]... Mais, ajoute-t-il [4], pour descouvrir entièrement la fausseté des objections, l’on peut respondre à ce que Lucdwigius [* 6] a dit des sept esprits qui luy enseignèrent les sept arts libéraux, que cette narration fabuleuse a pris son origine sur ce que le mesme Pierre d’Apone [* 7] assure, après Albumazar, que les prières qui sont faictes à Dieu lorsque la lune est conjoincte avec jupiter, en la teste du dragon, sont infailliblement exaucées ; et que pour luy, comme il eût demandé suivant ses propres termes sapientiam, à primo visus est sibi in illâ amplius proficere. Sur quoi néanmoins beaucoup d’autheurs se mocquent, à bon droict, de ce qu’il a désavoué si indiscrètement toutes ses veilles et labeurs, pour n’estre redevable de sa doctrine qu’à la superstition de cette prière, qui ne peut estre que vaine et sans efficace, en tel sens qu’on la veuille prendre. Car si l’on dict qu’elle s’addresse aux astres, c’est une pure bestise de croire qu’ils la puissent entendre ; si à Dieu, je demanderois volontiers s’il estoit sourd auparavant cette conjonction, s’il ne veut recevoir nos prières sans icelle, ou si elle le peut contraindre et nécessiter à condescendre aux vœux que l’on luy fait. Et de là vient que Jean Pic [* 8] avoit raison de dire, en parlant de ce nouveau Salomon : Consulerem Petro isti ut totum quod profecit suæ potiùs industriæ ingenioque acceptum refer-

  1. (*) III parte, lib. Cribrat.
  2. (*) Lib. VII de Prænot., cap. VII.
  3. (*) Lib. I, de Patientiâ, cap. III.
  4. (*) Angelogr., part. II, cap. XXI, quæst. II.
  5. (*) Liv. IV, chap. III.
  6. (*) Dæmonomagiæ, quæst. XVI.
  7. (*) Differentia CLVI.
  8. (*) Lib. IV, adversùs Astrolog., cap. VIII.
  1. Cela paraît par toutes ses Œuvres et principalement en la différence clvi de son Conciliator. Naudé, Apologie des grands Hommes, pag. 384.
  2. Naudé, Apologie des grands Hommes, pag. 384.
  3. Naudé, Apologie des grands Hommes, pag. 386. Cette inscription est dans Tomasin, in Elog. illustr, Virorum, pag. 23.
  4. Là même, pag. 388.