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APONE.

ret, quàm joviæ illi suæ supplicationi. L’on peut dire aussi, pour satisfaire à la preuve des trois livres divulgués sous son nom, qu’ils luy sont non moins faussement attribuez, que beaucoup d’autres à presque tous les grands esprits, tesmoin que Trithème [* 1] ne les veut advouër pour légitimes, à cause du grand nombre de fables que l’on avoit pris plaisir de forger sur cet autheur ; et ce qu’il avoit dict auparavant en son Catalogue des Escrivains Ecclésiastiques, qu’il ne tenoit pour véritable ce que l’on disoit de la magie de Pierre d’Apono, parce qu’il ne s’estoit jamais apperceu qu’il eust faict aucun livre sur le sujet d’icelle. À quoi si l’on veut encores adjouster le silence de tous les bibliothécaires, et la confirmation que Symphorien Champier [* 2] donne à cette autorité de Trithème, quand il asseure qu’il n’a jamais veu aucun de ses livres en magie, sinon quelque différence où il en traicte comme en passant, je croy qu’il n’y aura plus rien qui nous puisse empescher de recognoistre son innocence, et de juger avec les mieux sensez que tout le soupçon que l’on a eu de sa magie vient comme de sa vraye source et origine de la puissance qu’il luy attribue en la différence clvi de son Conciliator, et des prédictions qu’il pouvoit faire au moyen de l’astrologie, sur lesquelles, par laps de temps, toutes ces fables et chimères se sont glissées, suivant le dire très-véritable de Properce :

Omnia post obitum fingit majora vetustas [* 3].

Notez quelques fautes de M. de Clavigni de Sainte-Honorine. Il prétend que l’effigie de Pierre d’Apono, qui fut faite par les soins du duc d’Urbin, est dans la place publique de Padoue avec Tite-Live, Albert et Julius Paulus, et que l’inscription contient Astrologiæ adeò peritus, ut in magiæ suspicionem venerit [1]. 1o. La statue où se lisent ces paroles n’est pas dans la place publique de Padoue, mais sur l’une des portes de la maison de ville : In unâ portarum Prætorii Patavini [2]. 2o. La statue que le duc d’Urbin fit faire, ne fut point mise dans Padoue, mais dans le château de ce duc. 3°. Elle ne contient point les paroles que M. de Clavigni rapporte. Voyez Tomasini [3].

(D) Son cadavre échappa à la diligence des inquisiteurs, qui voulaient le faire brûler. ] Pierre d’Apone, accusé de nécromancie et d’hérésie, mourut pendant le procès, et fut enterré dans l’église de Saint-Antoine. Tous les zélés s’en scandalisèrent : les inquisiteurs continuèrent leurs procédures, et l’ayant convaincu d’impiété, par ses écrits, ils condamnèrent son cadavre à être brûlé ; et comme ils ne le trouvèrent point, ils firent brûler publiquement une figure qui le représentait. Voilà ce qu’on lit dans M. de Sponde [4] : mais comment l’accorderons-nous avec l’inscription que les magistrats de Padoue firent mettre sous la statue de ce médecin, et où ils déclarèrent qu’il fut absous [5] ? Pierre de Saint-Romuald rapporte que les inquisiteurs, ayant lu publiquement la condamnation de Pierre d’Apone, firent mettre au feu son effigie. Il remarque aussi qu’ils ne purent trouver son corps, parce que sa concubine Mariette l’avait déterré de nuict secrètement, et caché dans un sépulchre rompu [6].

(E) Ses accusateurs lui attribuent des opinions incompatibles : ils veulent qu’il ait été magicien, et qu’il n’ai point cru qu’il y eût des diables. ] Nous avons vu [7] comment son apologiste se prévaut de cette contradiction ; mais il aurait dû prendre garde que Bodin met Pierre d’Apone entre les sorciers qui, pour éluder les poursuites de la justice, soutiennent que tout ce qu’on dit des diables et de la magie est une chimère. Bodin déclare qu’il a fait le livre de la Démonomanie des sorciers, entre

  1. (*) Antipali., lib. I, cap. III.
  2. (*) Tractat. IV, lib. de claris medicinæ Scriptoribus.
  3. (*) Eleg. I, vs. 23, lib. III.
  1. Clavigni de Sainte-Honorine, lecture des livres suspects, pag. 101, 102.
  2. Tomasini, Elog. Viror. Illust., pag. 23.
  3. Ibidem.
  4. Spondanus, Annal. Eccles. ad ann. 1316, num. 8. Il cite Scardeon. Hist. Patav., lib. II, class. IX.
  5. Voyez cette Inscription ci-dessus, citation (16).
  6. Saint-Romuald, Journal chronol. et historiq. au 31 de décembre. Il cite Bernard Scande : il voulait dire sans doute Bernardin Scardeon.
  7. Dans la remarque (C).