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APULÉE.

ne l’attestaient ; mais nous voyons que cette impertinence des païens était tellement prônée au siècle de saint Augustin, qu’on pria ce grand prélat de la réfuter : Precator accesserim ut ad ea vigilantiùs respondere digneris, in quibus nihil ampliùs Dominum quàm alii homines facere potuerunt, fecisse vel gessisse mentiuntur. Apollonium siquidem suum nobis et Apuleium aliosque magicæ artis homines in medium proferunt, quorum majora contendunt extitisse miracula [1]. Saint Augustin se contenta de répondre que si Apulée avait été un si puissant magicien, il n’eût point vécu, avec l’ambition qui le possédait, dans une condition aussi petite que l’avait été la sienne ; que, d’ailleurs, il s’est défendu de la magie comme d’un grand crime [2]. On parlait de ses prétendus miracles long-temps avant saint Augustin ; car Lactance s’étonne que l’auteur qu’il a refuté n’eût pas joint Apulée à Apollonius de Tyane :Voluit ostendere Apollonium vel paria, vel etiam majora fecisse. Mirum quod Apuleium prætermisit cujus solent et multa et mira memorari [3]. Apulée a eu le destin de bien d’autres gens : on n’a parlé de ses miracles qu’après sa mort ; ses accusateurs ne lui objectèrent que des vétilles, ou prouvèrent le plus mal du monde ce qui pouvait avoir l’apparence de sortilége. Mais je ne sais comment accorder saint Augustin avec Apulée. L’un dit qu’Apulée ne put jamais parvenir à aucune charge de judicature : ad aliquam judiciariam reipublicæ potestatem [4] ; l’autre se vante d’occuper le poste que son père avait occupé ; son père, dis-je, qui avait passé par toutes les charges de sa patrie : In quâ coloniâ patrem habui loco principe duumviralem cunctis honoribus perfectum. Cujus ego locum in eâ repub. exindè ul participare curiam cœpi nequaquàm degener pari spero honore et existimatione tueor [5].

(M) M. Moréri a entrevu qu’il n’était point l’inventeur de son Âne d’or. ] Rapportons premièrement ses paroles. La métamorphose de l’âne d’or « est une paraphrase de ce qu’il avait pris dans Lucien, comme celui-ci l’avait tirée de Lucius de Patras, dont parle Photius...... Il y a même apparence qu’Apulée tira de sa source même le sujet de la fable qu’il a accommodée à sa façon ; car il savait très-bien la langue grecque et la latine. » Pour bien juger si M. Moréri mérite d’être critiqué, il faut comparer avec ce qu’il vient de dire le passage de Vossius qui lui a servi d’original : De ætate Lucii Patrensis non liquet, nisi quod antiquior credatur Luciano, quippè qui indè compilâsse videatur Lucium seu Asinum suum, uti ex Luciano posteà Asinum suum aureum exscripsit Appuleius. Nisi is potiùs ex eodem Lucii fonte sua hausit, et hoc sanè verisimilius est. Nempè ut Lucium in epitomen redegit Lucianus, ità paraphrasin Lucii scripsit Appuleius, sed ille græcè, hic latinè [6]. Il est clair que M. Moréri n’a pas entendu la pensée de Vossius, et qu’il ne devait pas dire que l’ouvrage d’Apulée est la paraphrase de celui de Lucien. Il devait dire que Lucius de Patras avait été abrégé par Lucien, et paraphrasé par Apulée. Le raisonnement que M. Moréri enferme dans ces paroles, car il savait très-bien la langue grecque et la latine, ne vaut rien du tout. Mettez en forme ce raisonnement, vous y trouverez cet enthymème : Il savait très-bien la langue grecque et la latine : donc il a tiré de sa source même le sujet de cette fable qu’il a accommodée à sa façon ; c’est-à-dire, donc il n’a pas paraphrasé Lucien, mais Lucius de Patras. Cet enthymème est ridicule ; il ne faut pas moins savoir la langue grecque pour se servir de Lucien, que pour se servir de Lucius ; et il ne sert de rien de savoir la langue latine, pour accommoder à sa façon un sujet emprunté de Lucius. M. de la Fontaine ne peut-il pas accommoder à sa façon un conte d’Ouville ? Il serait d’un plus grand usage qu’on ne pense de critiquer la fausse logique des auteurs. Les jeunes gens,

  1. Marcellinus ad Augustin., Epist. IV, inter Epist. Augustini. Voyez aussi la lettre XLIX de Saint Augustin, pag. 208.
  2. Augustinus, Epist. V.
  3. Lactant., Divin. Institut., lib. V, cap. III. Voyez aussi saint Jérome sur le psaume LXXXI.
  4. Augustinus, Epist. V.
  5. Apul., Apolog., pag. 289.
  6. Vossius, de Hist. græc., pag. 517, 518.