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ARAGON.

dans la prose de son épître dédicatoire au cardinal de Trente, et dans celle de la préface, se servent des termes d’adoration, et de divin : il est vrai qu’il y ajoute ce correctif, que l’adoration de cette dame serait relative au Souverain Être, qui lui avait conféré tant de perfections. Voici ses paroles : Questa conoscenza… ha fatto questi anni a dietro che conoscendosi in universale ed in particolare da ogni più raro giudicio, i gran meriti, ed il sommo valore e la bellezza infinita di corpo et d’animo della illustrissima ed eccellentissima Signora donna Giovanna d’Aragona, si sieno tuiti i più begli spiriti di commune consentimento posti a sucrarle un tempio, come a donna interamente divina, e la quale, come nobilissima fattura e sembianza del sommo Iddio, meriti veramente d’esser con la lingua e col cuore aderata per immenso honore del fattor suo ; potendosi degnamente da ciascuno far giudicio, quanto sia infinito il sapere, il potere, e l’amor verso di noi di chi così (alla capacità della mente nostra) infinitamente bella e perfetta, e degna d’esser’ adorata creatura habbia potuto, saputo, et degnatosi di voler fare in questa età nostra. Il dit dans la préface, que le précis de toutes les pièces de son recueil est, che questa gran donna, come perfettissima di corpo e d’animo, e come particolarissima fattura del sommo Iddio, meriti d’essere adorata ad honore del fattor suo. Overo che ciascuno partitamente l’offerisce il suo voto, a la purità dell’ affetto suo. Les langues les moins flexibles à la poésie, et les moins connues, furent employées à la construction de ce temple, comme vous diriez la sclavonne, la polonaise, la hongroise, l’hébraïque, et la chaldaïque ; et ce n’est peut-être qu’en faveur de M. de Peiresc [1], qu’un pareil, ou même qu’un plus grand concours de langues, a été mis en usage.

(B) Niphus particularisa trop les perfections du corps de cette dame. ] Niphus a dédié à cette dame son traité du Beau ; et pour réfuter les anciens philosophes, qui ont soutenu qu’il n’y a point de beauté parfaite dans l’univers, il leur allègue, dans le Ve. chapitre, l’exemple de Jeanne d’Aragon. Il entre dans un détail si exact, en faisant le portrait de cette belle, qu’assurément on n’a rien vu de si bien particularisé parmi ce grand nombre de portraits, que les romans de mademoiselle de Scudéri mirent à la mode il y a trente ou quarante ans [2]. Il ne se contente pas de décrire les beautés visibles à tout le monde, il passe jusqu’à celles quas sinus abscondit, et jusqu’à la proportion qui régnait entre la cuisse et la jambe, et entre la jambe et le bras. Ventre sub pectore decenti, et latere cui secretiora correspondeant. Amplis atque perrotundis coxendicibus, coxâ ad tibiam et tibiâ ad brachium sesquialterâ proportione se habente [3]. On voit, à la tête de ce traité, une lettre du cardinal Pompée Colonne à Augustin Niphus, laquelle rend témoignage à l’excellente beauté, et aux autres grandes qualités de Jeanne d’Aragon. Or personne n’ignore combien un cardinal de qualité est juge compétent en ces matières, et même fin connaisseur, quàm elesans formarum spectator fiet. Voici les termes de cette lettre : Non vulgò speciosissima quæque exponit natura : nostro tamen ævo parens officiosa ac liberalis veluti divinitatis æmula, ut perfectum admirandumque aliquid, diisque immortalibus quàm simillimum gentibus proferret, Joannam Aragoniam Columnam procreavit, atque ab incunabulis ad hanc usque ætatem, in quâ est florentissima per omnes pulchritudinis et venustatis numeros provexit, ut facilè principem locum inter formosissimas vindicârit. Animum prætereà singularibus et dotibus et virtutibus insignivit, etc.

(C) Quelques auteurs ont dit que Niphus l’avait flattée. ] Louis Guyon ne saurait se persuader que toutes les beautés qu’Augustin Niphus attribue à la princesse Jeanne d’Aragon, de l’illustre maison des Colonnes, fussent en elle : mais je cuide, dit-il [4], qu’il en fut amoureux, attiré à son amour pour l’avoir vu toucher, pal-

  1. Voyez la remarque (C) de son article.
  2. On écrit ceci en 1692.
  3. Niphus, pag. 213 Opusculor., edit. Paris., an. 1645.
  4. Guyon, Diverses leçons, vol. III, liv. III, chap. XII.