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ARAGON.

d’ailleurs en mauvais ménage avec son mari ! Cela n’est point aussi rare qu’il devrait l’être parmi les personnes de son sexe qui ont de si grandes qualités. Elle témoigna beaucoup de constance, lorsqu’en 1551 elle perdit son fils aîné. Ce que l’Arétin lui écrivit là-dessus est assaisonné de grands éloges. Voyez le VIe. livre de ses lettres, au feuillet 5 [a]. Elle avait une sœur, qui fut fort belle jusque dans sa vieillesse, et qui eut une bru illustre (G).

Il n’y a guère de remarques dans son article qui ne puissent être allongées. C’est pourquoi j’ajouterai ici, dans cette nouvelle édition, comme un supplément à ce que j’ai déjà dit de sa déification [b], que peu après que son temple eut été construit par les soins de Jerôme Ruscelli, il y eut un galant auteur qui y consacra plusieurs images (H). La vie du duc d’Albe me fournira de nouvelles particularités concernant les brouilleries qui obligèrent cette dame à s’enfuir de Rome, l’an 1556 [c] (I). Elle était déjà fort âgée, à ce que dit l’historien du duc d’Albe. Il faut donc qu’elle ait joui d’une longue vie ; car elle mourut au mois d’octobre 1577 [d]. Elle avait donné en 1575 aux capucines du Saint-Sacrement le lieu où l’on fit bâtir le monastère qu’elles ont à Rome [e]. Elle fut fort libérale envers les jésuites, puisqu’elle fit rebâtir l’église de Saint-André, que l’évêque de Tivoli leur donna l’an 1566 [f]. Jusqu’ici, je n’ai rien dit de sa généalogie : il est bien temps que j’observe qu’elle était fille de Ferdinand d’Aragon, duc de Montalto (K), troisième fils naturel de Ferdinand Ier., roi de Naples.

  1. De l’édition de Paris, en 1609, in-8o.
  2. Ci-après dans la remarque (A).
  3. Voyez les remarques (E) et (F).
  4. Tomaso Costo, Compendio dell’ Istoria di Napoli, parte III, folio 168.
  5. Voyez le Ritratto di Roma Moderna, pag. 541, édition de Rome, en 1653.
  6. Là même, pag. 540.

(A) Les beaux esprits de son temps firent sonner ses éloges d’une façon extraordinaire. ] Je n’ai point vu de dictionnaire où l’article de cette dame se trouve : c’est un péché d’omission très-digne d’être censuré ; car jamais peut-être il n’y avait eu ni homme ni femme dans le monde, dont le mérite eût été loué, ni par autant de beaux esprits, ni en autant de langues que le fut au XVIe. siècle celui de Jeanne d’Aragon. Les poésies, qui furent faites à sa louange, ont été recueillies par Jérôme Ruscelli, et publiées à Venise, en 1555, sous le titre de Tempio alla Divina Signora Donna Giovanna d’Aragona, fabricato da tutti i più gentili Spiriti, e in tutie le lingue principali del mondo. L’apothéose poétique de cette dame se fit à peu près comme la canonisation des saints. D’abord plusieurs beaux esprits s’avisèrent, de leur propre mouvement, de témoigner leur dévotion à cette divinité, et de lui préparer un temple ; et ensuite l’affaire passa en décret, l’an 1551, à Venise, dans l’académie de Dubbiosi. Après plusieurs délibérations et consultations sur un incident qui se présenta, savoir si ce temple appartiendrait conjointement à la Donna Giovanna d’Aragon, et à la marquise du Guast sa sœur, le décret porta que, vu les oppositions qui furent faites anciennement de la part des pontifes à Marcellus, lorsqu’il voulut dédier un même temple à la Gloire et à la Vertu, la marquise du Guast ne pourrait avoir sa part au temple de sa sœur, qu’au moyen de quelques interprétations particulières. Non-seulement les poëtes dont Ruscelli recueillit les vers, mais lui aussi,