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ANACRÉON.

voyez précisément l’année 489 avant Jésus-Christ, et l’olympiade 72. J’avoue que l’expédition des Perses contre les Athéniens, de laquelle il s’agit ici, et où Darius ne se trouva point en personne, quoique la phrase de M. le Fèvre le signifie, regarde la 72e. olympiade, et l’an 489 avant Jésus-Christ [1] ; mais il faut savoir que ce prétendu voyage de Darius ne fut fait que vingt ans après qu’Hippias eut été chassé d’Athènes [2], et qu’il en fut chassé la quatrième année après la mort d’Hipparchus, et la dix-huitième après la mort de Pisistrate, d’où il faut conclure qu’Hipparchus avait dominé quatorze ou quinze ans. Il est donc très-possible, 1°. qu’il ait fait venir Anacréon à Athènes trente ans avant que Darius, fils d’Hystaspes, suivît les instigations d’Hippias contre les Athéniens ; 2°. que la mort d’Anacréon ait précédé de quelques années la 72e. olympiade, et l’année 489 avant Jésus-Christ, marquée si précisément par M. le Fèvre, comme le temps précis où Anacréon a vécu. Voici une autre remarque. Il écrivit ses poëtes grecs en 1659 [3]. Or, dans son Anacréon, imprimé en 1660, il fait fleurir ce poëte cinq cent cinquante-cinq ans avant Jésus-Christ, plus ou moins, et il accorde à Suidas qu’Anacréon a pu vivre en la 52e. olympiade, puisqu’il a vécu familièrement, dit-il, avec Polycrate, qui florissait au même temps qu’Amasis régnait en Égypte. M. le Fèvre a été donc un peu trop flottant sur la chronologie d’Anacréon. On ne dira jamais, sans se tromper, d’un homme qui a pu fleurir dans la 52e. olympiade, que la 72e. olympiade est le temps précis où il a vécu. D’ailleurs, c’est mal prouver qu’un homme a pu vivre dans la 52e. olympiade, que de le prouver par la raison qu’il a été bon ami de Polycrate, contemporain d’Amasis ; car ces deux princes sont morts, celui-ci à la fin de la 64e. olympiade, et celui-là deux ans après [4].

(C) Hipparchus le fit venir à Athènes. ] Je ne prétends pas critiquer M. le Fèvre de ce qu’il a dit qu’Hipparchus, fils de Pisistrate [5], envoya à Téos un vaisseau à cinquante rames, avec des lettres fort civiles et fort obligeantes, par lesquelles il conjurait Anacréon de passer la mer Égée, et de faire un voyage à Athènes, l’assurant que sa vertu trouverait là des admirateurs qui ne connaissaient pas mal le prix des belles compositions et le mérite des personnes rares : je n’ai garde de critiquer cela, ni sous prétexte que je ne trouve dans Platon autre chose que ceci, Ἐπ᾽ Ἀνακρέοντα τὸν Τήϊον πεντηκόντορον ςείλας ἐκόμισεν εἰς τὴν πόλιν [6] ; Il fit venir dans notre ville Anacréon, natif de Téos, en lui envoyant un vaisseau de cinquante rames : ni sous prétexte qu’Élien se renferme dans la même généralité [7] : car, outre que M. le Févre pouvait avoir appris dans des livres qui ne me sont point connus les particularités qu’il rapporte, les lois de la vraisemblance veulent qu’Hipparchus ait écrit ou ait fait écrire obligeamment à Anacréon ; et ainsi l’on peut supposer tout ce que M. le Fèvre suppose : on le peut, dis-je, supposer avec d’autant moins de scrupule, que la plupart du temps une narration serait trop sèche et trop dégoûtante si l’on ne faisait qu’une version littérale des originaux. Mais, quand il nous donne Platon pour son auteur, j’avoue que je ne saurais m’empêcher de le reprendre.

(D) Il était dans la chambre de Polycrate lors de l’audience donnée à un envoyé de Sardes. ] C’est tout ce que nous en apprend Hérodote : cependant je suis fort sûr que M. le Fèvre a pu dire, comme il a fait, que Polycrate, tyran de Samos, tint Anacréon d’ordinaire près de sa personne, et voulut qu’il eût part en ses affaires et en ses plaisirs ; car, étant certain d’un côté qu’Anacréon a été chéri de Polycrate [8], et de l’autre que les principales affaires de ce tyran n’étaient que de se bien divertir [9], on ne risque pas beaucoup en croyant tout ce que je viens de citer de M. le

  1. Voyez Calvisius.
  2. Petavii Rationarium Temporum, part. I, lib. III, cap. II ; et part. II, lib. III, cap. IX.
  3. Voyez la fin de la préface.
  4. Voyez Calvisius.
  5. Moréri et Hofman disent Philostrate.
  6. Plato in Hipparcho.
  7. Ælian. Var. Hist., lib. VIII, cap. II.
  8. Pausanias, lib. I, pag. 2 Ælian. Var Histor., lib. IX, cap. IV. Strabo, lib. XIV.
  9. Athen., lib. XII, cap. IX, X.