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ARCÉSILAS.

sage de Nonius Marcellus [1], a fourni une autorité qui favorise merveilleusement le texte de cette remarque. Suivant cette correction, nous devons croire que Lucilius a dit : Polemon et amavit Cratem, et huic transmisit suam scholam quam dicunt. Le grec de Diogène Laërce est du même sens : Κράτης..... καὶ ἀκροατὴς ἅμα καὶ ερώμενος Πολέμωνος. ἀλλὰ καὶ διεδέξατο τὴν σχολὴν αὐτοῦ [2]. Crates auditor simul amasiusque [3] Polemonis, illiusque scholæ successor. Je n’appuie pas sur ces paroles de Cicéron : Speusippus autem et Xenocrates, qui primi Platonis rationem autoritatemque susceperant, et post eos Polemo et Crates unàque Crantor, in academiâ congregati, diligenter eis quæ à superioribus acceperant, utebantur [4]. Elles ne sont pas assez précises, ou aussi nettes, que cet endroit de Diogène Laërce : Πλάτων᾽, ὁ τὴν ἀρχαίαν Ἀκαδημίαν συστησάμενος. οὗ Σπεύσιππος καὶ Ξενοκράτης, οὗ Πολέμων, οὗ Κράντωρ καὶ Κράτης, οὗ Ἀρκεσίλαος, ὁ τὴν μέσην Ἀκαδημίαν εἰσηγησάμενος [5]. Plato, qui veterem academiam instituit : Platoni Speusippus et Xenocrates ; ei Polemon ; Polemoni Crantor et Crates ; cui Arcesilaus, qui mediam invexit academiam. Casaubon, dans sa note sur ce passage, cite Galien, qui dit que la vieille académie finit à Crantès ; et qu’Arcésilas, disciple de Crantès, fonda l’académie moyenne [6]. Ce commentateur ignore ce que c’est que le Crantès de Galien [7] ; mais on voit facilement, ou que les copistes ont mis Crantès au lieu de Cratès, ou que Galien lui-même n’orthographia pas bien le nom du prédécesseur d’Arcésilas. Il arrive tous les jours aux plus savans personnages d’insérer ou de retrancher quelque lettre aux noms des auteurs qu’ils citent. Ils ont dessein de nommer la même personne que les autres allèguent selon la vraie orthographe. J’en pourrais donner cent exemples, et je m’étonne que Casaubon se fasse ici des difficultés. Souvenons-nous qu’il admire que Galien n’ait pas fait mention de Crantor. Quis verò non miretur omissum à Galeno Crantorem [8] ?

(E) Il attaquait d’une grande force tout ce que les autres sectes affirmaient. ] On aurait tort de prétendre qu’il n’a point été appelé à juste titre un innovateur ; mais Diogène Laërce se trompe quand il le prend pour le premier qui ait introduit la coutume de disputer de part et d’autre. Πρῶτος δὲ καὶ ἐς ἑκάτερον ἐπεχείρησε [9]. Primusque in utramque disserere partem aggressus est. Ce fut l’esprit de Socrate, et Platon le conserva. Nous allons citer Cicéron qui nous apprend que la méthode d’Arcésilas, de disputer contre tout ce qu’on lui proposait, était celle de Socrate, et qu’Arcésilas fut instruit au pyrrhonisme [10] par les livres de Platon, et par les discours que l’on supposait que Socrate avait tenus : Arcesilas primùm, qui Polemonem audierat, ex variis Platonis libris, sermonisbusque Socraticis hoc maximè arripuit, nihilesse certi, quod aut sensibus, aut animo percipi possit : quem ferunt eximio quodam usum lepore dicendi aspernatum esse omne animi sensûsque judicium, primùmque instituisse (quanquam id fuit Socraticum maximè) non quid ipse sentiret ostendere, sed contra id quod quisque se sentire dixisset, disputare [11]. Il dit dans un autre livre que la méthode de Socrate, qui n’était pas observée, fut rétablie par Arcésilas. C’est en cela que consiste l’innovation de ce dernier : et ainsi, les expressions de Diogène Laërce ne sont point exactes ; car il est visible qu’un philosophe, qui fait profession d’attaquer tout ce qu’on répond à ses questions, met en usage la méthode de soutenir le pour et le contre. Prenez bien garde à ces paroles : Is (Socrates) percontando

  1. Nonius Marcellus, voce Transmittere, pag. 414. Il cite le XXVIIIe. livre de Lucilius.
  2. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 21.
  3. Et non pas amator, comme porte la version imprimée : faute que les commentateurs ne relèvent pas.
  4. Cicero, Academ. Quæst., lib. I, cap. IX.
  5. Diog. Laërt., in Proœmio, num. 14, pag. 10.
  6. Galenus, in Hist. Philosophorum.
  7. Ego quisnam sit Crantes Galeni planè ignoro. Casaub., i.n Diog. Laërtium, Proœm. num. 14.
  8. Idem, ibid.
  9. Diog. Laërt., lib. IV, num. 28.
  10. Je me sers de ce terme sans avoir égard à la personne de Pyrrhon.
  11. Cicero, de Oratore, lib. III, cap. XVIII.