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ARCÉSILAS.

verser tous les fondemens des sciences, et de réduire toutes choses à l’incertitude. Le passage que je vais citer témoigne cela, et en même temps le peu de succès de cette entreprise [1], quoiqu’elle fût soutenue par une éloquence qui plaisait beaucoup : Fuerint illa vetera, si vultis, incognita ; nihil ne est ergò actum quod investigatum est potteaquàm Arcesilas Zenoni, ut putant, obtrectans, nihil novi reperienti, sed emendanti superiores immutationes verborum, dum hujus definitiones labefactare vult, conatus est clarissimis rebus tenebras obducere ; cujus primùm non admodùm probata ratio quanquam floruit tum acumine ingenii tum admirabili quodam lepore dicendi, proximè à Lacyde solo retenta est [2] ? D’autres disent que la crainte d’être accablé par les objections de certaines gens, qui prenaient plaisir à harceler les philosophes, contraignit Arcésilas à n’affirmer rien. Il mit devant lui l’époque comme un rempart : ce fut une nuit, à la faveur de laquelle il espéra de se dérober à la poursuite du sophiste Bion, et des sectateurs de Théodore, frondeurs perpétuels des philosophes. Numénius, qui observe que Dioclès le Cnidien avait adopté cette conjecture, la rejette, et il me semble qu’il a raison ; car quoiqu’en ne décidant ni pour ni contre l’on se puisse garantir de mille difficultés embarrassantes, on ne laisse pas de se commettre beaucoup : et si d’un côté l’on a moins à craindre les objections graves et sérieuses, les rétorsions, et les argumens ad hominem, l’écueil ordinaire et inévitable des dogmatiques, l’on s’expose de l’autre beaucoup plus à la raillerie, et aux insultes des goguenards. Or il est certain que Bion, le plus grand moqueur de son siècle, était moins terrible quand il raisonnait que quand il plaisantait. Généralement parlant, c’est un poste très-incommode que celui où l’on vous tourne aisément en ridicule. Arcésilas lui-même employait la raillerie contre ceux qui rejetaient le témoignage des sens [3]. Quoi qu’il en soit, voyons les paroles de Numénius : Οὐ γὰρ πείθομαι, τοῦ Κνιδίου Διοκλέους ϕάσκοντος ἐν ταῖς ἐπιγραϕομέναις Διατριϐαῖς, Ἀρκεσίλαον ϕόϐῳ τῶν Θεοδωρείων τε καὶ Βίωνος τοῦ Σοϕιςοῦ, ἐπεισιόντων τοῖς ϕιλοσοϕοῦσι, καὶ οὐδὲν ὀκνούντων ἀπὸ παντὸς ἐλέγχειν, αὐτὸν ἐξευλαϐηθέντα, ἵνα μὴ πράγματα ἔχῃ, μηδὲν γε δόγμα ὑπειπεῖν ϕαινόμενον, ὥσπερ γὰρ τὸ μέλαν τὰς σηπίας, προϐάλέσθαι πρὸ ἑαυτοῦ τὴν ἐποχὴν. Τοῦτ´ οὖν ἐγὼ οὐ πείθομαι. [4]. Neque enim Gnidium illum Dioclem audio, qui in suis, ut eas inscripsit, diatribis, Arcesilam docet, Theodoreorum ac Bionis sophistæ metu, qui philosophis infesti, nullam non eos coarguendi occasionem acciperent, ità sibi, ne quid ab iis molestiæ pateretur, cavisse, ut nec certi quicquam statueret ; nam ut sepias effuso atramento, sic illum sese objectâ hâc assensionis retentione tegere ac tueri. Verùm hoc, ut dixi, minùs credo. Notez qu’un des interlocuteurs de Cicéron a soutenu qu’Arcésilas ne passa point dans le parti de l’époque, pour contredire Zénon, mais par le désir de trouver la vérité : Arcesilam verò non obtrectandi causâ cum Zenone pugnavisse, sed verum invenire voluisse sic intelligitur [5]. Il prétend qu’Arcésilas fut le premier qui découvrit et qui approuva cette proposition : Il est possible qu’un homme n’affirme et ne nie rien sur les matières incertaines, et c’est le devoir de l’homme sage : Nemo superiorum non modò expresserat, sed ne dixerat quidem posse hominem nihil opinari, nec solùm posse, sed ità necesse esse sapienti, visa est Arcesilæ cùm vera sententia, tum honesta et digna sapiente [6]. Il prétend que ce philosophe demanda à Zénon : Qu’arrivera-t-il, si l’homme sage ne peut rien connaître clairement, et s’il ne doit rien admettre qui ne soit clairement vrai ? et que Zénon répondit : Il comprendra clairement certaines choses, et ainsi il n’admettra rien d’obscur. Il fallut ensuite assigner le caractère des choses clairement comprises. Celui que Zénon donna fut combattu par Arcésilas, qui lui soutint que la fausseté peut paraître sous la même idée que la vérité, et qu’ainsi l’on

  1. Cela ne s’accorde pas avec ce qu’on rapportera dans la remarque (G).
  2. Cicero, Academic. Quæstion., lib. II, cap. VI.
  3. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 34.
  4. Numenius, apud Eusebium, Præparat. Evangel., lib. XIV, cap. VI, pag. 731, B. C.
  5. Cicero, Academic. Quæstion., lib. II, cap. XXIV.
  6. Idem, ibid.