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ARCÉSILAS.

ne saurait faire le discernement du vrai et du faux. Zénon accorda qu’on ne pourrait rien comprendre, si ce qui n’est pas pouvait nous paraître sous la même forme que ce qui est ; mais il nia la conformité d’idées entre ce qui est et ce qui n’est point. Arcésilas, au contraire, insista sur cette conformité : Incubuit in eas disputationes ut doceret nullum tale esse visum à vero, ut non ejusmodi etiam à falso possit [1]. Voilà le pivot de leur dispute. On avait déjà dit dans cet ouvrage de Cicéron, que l’obscurité des choses, et non pas l’opiniâtreté, ou le désir de la victoire, avait engagé Arcésilas à disputer contre Zénon [2].

J’ai dit qu’il poussa plus loin l’hypothèse de l’incertitude que Socrate : et j’ai eu raison ; car il ne voulut pas même avouer, comme Socrate, qu’il savait qu’il ne savait rien. Il se tint dans la suspension généralement sur toutes choses, et il ne disputa que pour se convaincre que les raisons d’affirmer n’étaient pas meilleures que les raisons de nier : Arcesilas negabat esse quicquam quod sciri posset, ne illud quidem ipsum quod Socrates sibi reliquisset. Sic omnia latere censebat in occulto, neque esse quicquam quod cerni, aut intelligi possit. Quibus de causis nihil oportere neque profiteri, neque affirmare quemquam, neque assertione approbare, cohibereque semper, et ab omni lapsu continere temeritatem, quæ tum esset insignis, quùm aut falsa, aut incognita res approbaretur, neque hoc quicquam esset turpius, quàm cognitioni et perceptioni, assertionem approbationemque præcurrere. Huc (rationi quod erat consentaneum) faciebat, ut contra omnium sententias dies jam plerosque deduceret, ut quùm in eâdem re paria contrariis in partibus momenta rationum invenirentur, faciliùs ab utrâque parte assertio sustineretur [3]. Il fut celui qui enseigna l’acatalepsie, ou l’incompréhensibilité, plus formellement qu’on ne l’avait jamais fait ; et il outra tellement les choses que Carnéade, qui aurait pu le soutenir mieux que lui, se crut obligé d’y apporter quelque modification [4] : mais il est certain qu’Arcésilas ne fit qu’étendre et développer ce qui avait été dit par les plus grands maîtres : Cum Zenone... Arcesilas sibi omne certamen instituit..…. earum rerum obscuritate, quæ ad confessionem ignorationis adduxerant Socratem, et veluti amantes Socratem, Democritum, Anaxagoram, Empedoclem, omnes penè veteres, qui nihil cognosci, nihil percipi, nihil sciri posse dixerunt, angustos sensus, imbecillos animos, brevia curricula vitæ, et (ut Democritus) in profundo veritatem esse demersam, opinionibus et institutis omnia teneri, nihil veritati relinqui, deinceps teneri, nihil teneri, omnia tenebris circumfusa esse dixerunt [5]. C’est sous l’autorité de ces grands noms qu’il attaquait les dogmatiques [6]. Il en pouvait alléguer encore d’autres, comme vous pourrez l’apprendre dans le second livre des Questions Académiques [7]. Néanmoins, Numénius, qui s’emporte contre lui très-durement, fonde son indignation sur la révolte qu’il lui attribue [8]. Vous trouverez quelques traits de sa colère dans la description de l’inconstance de ce philosophe : C’était un homme, dit-il, qui niait et qui affirmait les mêmes choses : il se jetait aveuglément à droite et à gauche ; il faisait gloire d’ignorer la différence du bien et du mal : il débitait la première fantaisie qui lui venait dans l’esprit ; et tout d’un coup il la renversait par plus de raisons qu’il ne l’avait établie. C’était une hydre qui se déchirait elle-même. Les termes de l’original sont plus expressifs, et plus féconds : Ἔλεγε, και ἀντέλεγε, καὶ μετεκυλιν δεῖτο κἀκεῖθεν, κἀντεῦθεν, ἑκατέρωθεν, ὁπόθεν τύχοι, παλινάγρετος, καὶ δύσκριτος, καὶ παλίμϐολός τε ἅμα, καὶ παρακεκινδυνευμένος, οὐδέν τε εἰδώς, ὡς αὐτὸς ἔϕη, γενναῖος ὤν.... [9]. Κατέχαιρε τῷ ὀνείδει, καὶ ἡμϐρύνετο θαυμαςῶς, ὅτι μήτε τί αἰσχρὸν ἢ καλὸν, μήτε ἀγαθὸν, μήτε αὖ κακόν ἐςι τί, ᾔδει, ἀλλ᾽ ὁπότερον εἰς τὰς ψυχὰς πέσοι, τοῦτο εἰπὼν, αὖθις μεταϐαλὼν, ἀνέτρεπεν ἂν πλεοναχῶς, ἢ δι᾽ ὅσων κατεσκευάκει. Ἦν οὖν ὕδραν τέμ-

  1. Idem, ibid.
  2. Voyez ci-dessous, citation (62).
  3. Cicero, Acad. Quæst., lib. I, cap. XII.
  4. Voyez l’article Carnéade.
  5. Cicero, Academ. Quæstion., lib. I, cap. XII.
  6. Idem, ibid., lib. II, cap. V. Voyez ci-dessus, citation (49).
  7. Cap. XXIV.
  8. Numenius, apud Eusebium, Præparat. Evangel., lib. XIV, cap. V, pag. 730.
  9. Idem, ibid., cap. V, pag. 730, A.