Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
ANACRÉON.

M. le Fèvre a justifié les amours d’Anacréon.

(H) Un pepin... l’étrangla. Valère Maxime attribue une fin si douce à une faveur particulière des dieux. ] Voici ses paroles : Cui quidem (Pindaro) crediderìm eâdem benignitate deorum et tantum poëticæ facundiæ, et tam placidum vitæ finem attributum ; sicut Anacreonti quoque, quamvis statum humanæ vitæ modum supergresso, quem uvæ passæ succo tenues et exiles virium reliquias foventem unius grani pertinacior in aridis faucibus humor absumpsit [1].

(I) Personne n’a marqué le lieu ni le temps de sa mort. ] Suidas dit bien qu’Anacréon, chassé de Téos à cause de la révolte d’Histieus, se retira à Abdère dans la Thrace ; mais ce n’est point dire qu’il y mourut : c’est seulement nous fournir de quoi le conjecturer avec quelque vraisemblance. En effet, Anacréon devait être fort âgé en ce temps-là, vu que les victoires remportées par les Perses sur les fauteurs de la révolte d’Histieus sont de beaucoup postérieures à la mort d’Hipparchus, et tombent dans la 71e. olympiade. Au reste, l’on peut conjecturer de ce passage de Suidas qu’Anacréon s’était retiré à Téos en sortant d’Athènes, où Hipparchus l’avait fait venir ; ce qui rend assez vraisemblable qu’il s’était aussi retiré à Téos après la ruine de Polycrate, et que ce fut là qu’Hipparchus lui envoya le vaisseau à cinquante rames, comme M. le Fèvre l’assure. Il ne faut pas s’étonner qu’Anacréon ait choisi Abdère pour son asile ; car c’était une ville que ceux de Téos avaient bâtie après avoir abandonné leurs maisons, lorsqu’Harpagus, lieutenant de Cyrus, se rendit maître de l’Ionie [2]. Strabon ne désigne point ainsi leur transmigration : il se contente de dire que, du temps d’Anacréon, les Téiens, ne pouvant souffrir les injures des Perses, se retirèrent à Abdère [3]. Cela peut être réduit à l’événement dont Hérodote a parlé ; car l’invasion de l’Ionie par Harpagus se fit dans la 59e. olympiade, temps auquel Anacréon faisait figure.

(K) Personne n’a décidé comment s’appelait son père. ] Suidas nomme quatre personnes qui ont passé pour le père d’Anacréon. Si c’est un diminutif de l’honneur rendu à Homère, dont plusieurs villes différentes ont passé pour la patrie, il faut avouer que c’en est un bien petit diminutif : car, au fond, cela témoigne pour l’obscurité de sa famille plus que pour toute autre chose. Si son père avait été un homme de beaucoup de distinction dans Téos, les auteurs l’eussent moins perdu de vue, et l’auraient moins confondu avec d’autres gens. Je vois néanmoins que mademoiselle le Fèvre cite Platon, pour prouver qu’Anacréon était de grande naissance, et parent de Solon, dont le père était de l’ancienne famille du roi Codrus, et la mère cousine germaine de la mère de Pisistrate [4]. Elle prétend prouver cela par un passage du Dialogue de la tempérance, où elle a trouvé que le père de Charmides descendait de l’ancienne famille de Dropidas, d’Anacréon et de Solon, qui s’était toujours distinguée des autres par sa beauté, par sa vertu et par ses richesses. Persuadé comme je le suis de l’érudition de cette dame, je me vois réduit à penser l’une de ces trois choses : 1°. ou que son Platon est fort différent du mien ; 2°. ou qu’elle a pris ce passage hors de son original ; 3°. ou qu’elle a suivi trop bonnement la mauvaise version de Jean de Serres. Je ne trouve dans mon Platon, si ce n’est que la famille paternelle de Charmides avait été louée par Solon, par Anacréon, et par plusieurs autres poëtes, comme ayant possédé avec distinction les avantages de la beauté, de la vertu, etc. Ἥ τε γὰρ πατρῷα ὑμῖν ωἰκία ἡ Κριτίου τοῦ Δρωπίδου καὶ ὑπὸ Ἀνακρέοντος καὶ ὑπὸ Σόλωνος καὶ ὑπ᾿ ἄλλων πολλῶν ποιητῶν, ἐγκεκοσμιασμένη παραδέδοται ἡμῖν ὡς διαϕέρουσα κάλλεί τε καὶ ἀρετῇ καὶ τῇ ἀλλῇ λεγομένῃ εὐδαιμονίᾳ. Voilà le passage selon l’édition de Francfort de 1602. Celle de Serranus n’en diffère qu’à l’égard du mot ἐγκεκοσμιασμένη, qui, par la faute des imprimeurs de Francfort, a été mis au lieu de l’ἐγκεκωμιασμένη de l’édition de Serranus ; mais la version de Ficin est beaucoup meilleure, quoiqu’elle

  1. Valer. Maximus, lib. IX, cap. XII. Voyez aussi Pline, liv. VII, chap. VII.
  2. Herod., lib. I. cap. CLXVIII.
  3. Strabo, lib. XIV.
  4. Vie d’Anacréon.