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ANACRÉON.

soit peut-être inférieure à celle qui suit : Nam quæ paternum vobis genus est, domus Critiæ filii Dropidæ, tum ab Anacreonte, tum à Solone, multisque aliis poëtis laudata, nobis tradita fuit ut præcellens formâ, virtute, cæterisque quæ felicitatis nomine veniunt. Voici la version de Serranus : Nam paternum quidem genus quod cum isto Critiâ commune habes à Dropidâ et Anacreonte et Solone et aliis multis celeberrimis poëtis deducitur, et vobis traditur veluti et robore et virtute et alio omni genere felicitatis instructissimum. Je passe sous silence qu’on pourrait être descendu de Solon et d’Anacréon, du côté paternel, sans que Solon et Anacréon fussent parens. Chaque personne a deux sortes de parens paternels, la famille de son aïeul paternel, et celle de son aïeule paternelle.

(L) On a plusieurs traductions de ses poésies. ] Voici celles que mademoiselle le Fèvre marque. Mon lecteur sera bien aise de savoir le jugement qu’elle en fait. Il y a long-temps, dit-elle, qu’Anacréon a été traduit en français par Remi Belleau ; mais outre que sa traduction est en vers, et par conséquent peu fidèle, elle est en si vieux langage, qu’il est impossible d’y trouver aucun agrément. On l’a aussi traduit en italien depuis quelques années, et le traducteur ne s’est pas plus attaché au grec que Remi Belleau : sa version ne laisse pas néanmoins d’être assez agréable, quoiqu’il s’éloigne fort souvent du sens d’Anacréon, et qu’il prenne même à tous momens des libertés qui doivent la faire passer plutôt pour une paraphrase que pour une version. La traduction latine, dont une partie a été faite par Henri Étienne, et l’autre par Elias Andreas, et qui est celle dont on se sert ordinairement, me paraît la meilleure : elle n’est pourtant pas sans défauts ; et comme elle est aussi en vers, elle est souvent fort obscure, et dit en beaucoup d’endroits ce qu’Anacréon n’a jamais pensé. C’est ainsi que parle mademoiselle le Fèvre dans la préface de son Anacréon. Elle le publia à Paris, l’an 1681, avec le texte grec d’un côté, et sa version en prose française de l’autre. Elle a fait des remarques sur chaque poëme d’Anacréon. J’ajouterai quelque chose au passage que j’ai cité. La traduction de Remi Belleau parut l’an 1556. On a débité que Daurat était le véritable auteur de la version qu’Henri Étienne s’attribua. M. Colomiés témoigne qu’Isaac Vossius lui avait dit qu’il avait possédé un Anacréon où Scaliger avait marqué de sa main qu’Henri Étienne n’était pas l’auteur de la version latine des odes de ce poëte, mais Jehan Dorat [1]. La version italienne dont mademoiselle le Fèvre parle est celle de Barthélemi Corsini, que M. Regnier des Marais fit imprimer à Paris l’an 1672 [2]. Je ne m’étonne pas que mademoiselle le Fèvre n’ait point parlé de la traduction d’Anacréon faite par un enfant qui est devenu depuis extraordinairement célèbre sous le nom d’abbé de la Trappe ; car je ne crois pas que cette version ait jamais été imprimée. M. Baillet nous apprendra bien des choses là-dessus. Il sceut si bien, dit-il [3] en parlant d’Armand Bouthillier de Rancé, coopérer avec ses maîtres par l’assiduité et l’application qu’il apporta à l’étude, qu’à l’âge de dix ans il savoit fort bien les poëtes grecs, et Homère sur tous les autres ; et qu’à peine avoit-il douze ou treize ans, lorsqu’il publia une nouvelle édition des poésies d’Anacréon, avec des remarques en grec, qui furent admirées des savans. Cette édition parut in-8o, à Paris, en 1639 ; et le temps n’a rien diminué jusqu’icy de l’étonnement que ces remarques donnent encore tous les jours à ceux qui les confèrent avec la tendresse de l’âge où étoit alors leur auteur. Je ne vous parle pas d’une traduction françoise qu’il fit alors du même poëte, quoiqu’elle se trouvât fort au goût de ceux qui travailloient en ce temps à la perfection de notre langue, et qu’elle fit voir qu’il n’avoit pas moins de politesse pour elle, que d’exercice et d’habitude pour la grecque et la latine. M. Baillet, n’ajoutant pas le lieu ni l’année de l’impression, et ne disant pas même en général que cet ouvrage ait été publié, me fait croire qu’on n’en a vu que des copies manuscrites : et je me confirme dans cette pensée, lorsque je vois que

  1. Colomiés, Opuscules, pag. 108.
  2. Voyez le Journal de Leipsick de l’an 1693, pag. 236.
  3. Baillet, Enfans célèbres, pag. 359.