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ARCHÉLAÜS.

la rapporte en des termes qui ne sont pas philosophiques. Il suppose que Socrate répondit, que ceux qui ne se revanchent pas d’un bienfait reçoivent autant d’affront que ceux qui ne se revanchent pas d’une injure. Ὕϐριν ἔϕη εἶναι τὸ μὴ δύνασθαι ἀμύνεσθαι ὁμοίως εὖ παθόντα, ὥσπερ καὶ κακῶς [1]. Contumeliam esse dixit, non posse referre eum qui accepit beneficium, perindè ac eum qui injuriam. Cette maxime suppose qu’il faut se venger de ceux qui nous font du mal : elle n’est donc pas digne de la morale d’un philosophe, et surtout d’un philosophe tel que Socrate. Au reste, Sénèque s’est fort étendu à faire voir qu’il était facile à ce philosophe de bien rendre la pareille à Archélaüs. Il a dit entre autres choses, que les bienfaits de ce monarque n’eussent pu valoir l’instruction qu’il eût reçue sur la cause des éclipses, et qui l’eût empêché de retomber dans la terreur que l’on remarqua en lui, un jour que le soleil s’était éclipsé. Il avait fermé son palais, il avait fait tondre son fils : Quid tantùm erat accepturus (Socrates) quantùm dabat, si..... regem in luce mediâ errantem, ad rerum naturam admisisset, usque eò ejus ignarum, ut quo die solis defectio fuit regiam clauderet, et filium (quod in luctu ac rebus adversis moris est) tonderet ? Quantum fuisset beneficium, si timentem è latebris suis extraxisset, et bonum animum habere jussisset, dicens : « Non est ista solis defectio, sed duorum siderum coïtus, cùm luna humiliore currens viâ, infra ipsum solem, orbem suum posuit, et illum objectu sui abscondit [2]. » Sénèque prétend que Socrate ne se servit de cette excuse, que par ironie [3], et qu’au fond il ne refusa d’aller à la cour de Macédoine, qu’afin de garder pleinement sa liberté. Vis scire quid verò noluerit ? Noluit ire ad voluntariam servitutem is, cujus libertatem civitas libera ferre non potuit [4]. Quelques-uns disent qu’Aristophane composa la comédie des Nuées, pour satisfaire l’animosité qu’il avait contre Socrate, parce qu’Archélaüs roi de Macédoine avait fait plus d’état de ce philosophe que de lui [5]. Notez que l’on a donné un autre tour à la réponse de Socrate. On a dit qu’il s’excusa d’aller à la cour d’Archélaüs, sur ce que le pain était à un si vil prix dans Athènes, et que l’eau y abondait [6].

(E) Sa libéralité envers les habiles gens était médiocre,..... peut-être parce qu’ils étaient trop prompts à demander. ] « Le roi de Macédoine Archélaüs sembloit estre un peu tenant en matière de donner et faire présens, de quoi Timothéus musicien, en chantant sur la lyre, lui donna une atteinte, en lui tirant souvent ce petit brocard, Ce fils de terre, l’argent trop tu le recommandes : mais Archélaüs lui répliqua sur l’heure bien gentiement et de bonne grâce, Mais toi, par trop tu le demandes. » C’est Plutarque qui raconte cela [7]. Il raconte aussi dans un autre livre ce que je m’en vais copier : Il y eut quelqu’un jadis, qui estimant qu’il n’y eust rien si honneste que de demander et recevoir, demanda un jour, en soupant, au roy de Macédoine Archélaüs, une coupe d’or là où il beuvoit. Le roy commanda à son page de la porter et donner à Euripides, qui estoit à la table ; et tournant son visage devers celui qui la lui avoit demandée, lui dit : « Quant à toi, tu es digne de demander et d’estre refusé, parce que tu demandes : mais Euripides est digne qu’on lui donne, encore qu’il ne demande pas [8]. » Peut-être donnait-il des bornes à sa libéralité par un principe semblable à celui de Charles IX [9]. Mais il y a plus d’apparence qu’il était du goût qu’on a remarqué dans le cardinal de Richelieu, qui ne fit jamais de bien au poëte Mainard, et ce fut en partie... parce qu’il aimait qu’on ne lui demandât rien, et qu’on lui

  1. Aristotel., Rhetor., lib. II, cap. XXIII, pag. 445, A.
  2. Senec., de Benefic., lib. V, cap. VI, pag. 96.
  3. Idem, ibid.
  4. Idem, ibid., pag. 95.
  5. Charpentier, Vie de Socrate, pag. 57. Il cite les interprètes d’Aristophane in Argumento illius comœdiæ.
  6. Vide Stobæum, Serm. CCXXXVII.
  7. Plutarch., de Fortunâ Alexandri, lib. II, pag. 334. Je me sers de la version d’Amiot.
  8. Plut., de vitioso Pudore, pag. 531. Je me sers de la même traduction.
  9. Voyez l’article Daurat, remarque (F).