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ANACRÉON.

M. de Louge-Pierre ne dit pas un mot de cette version ; lui qui remarque qu’Henri Étienne avait mis en vers français les mêmes odes d’Anacréon, qu’il rendit ensuite latines. Il remarque aussi que Ronsard en a traduit un bon nombre. C’est dans la préface de sa version qu’il dit cela. Son ouvrage vit le jour l’an 1684. Le grec est d’un côté ; sa traduction en vers français est de l’autre : on trouve des observations critiques à la fin de chaque pièce [1]. M. Regnier des Marais, secrétaire perpétuel de l’académie française, donna en 1693 une traduction d’Anacréon en vers italiens, avec des remarques.

Voici une fort belle addition. Je l’emprunte mot à mot d’une lettre que j’ai reçue de M. de la Monnoie : « On n’a pas eu de soin jusqu’ici de recueillir, et d’examiner plusieurs particularités curieuses, touchant les poésies qui nous restent d’Anacréon. L’on a bien dit que Henri Étienne les a déterrées le premier ; mais peu de personnes savent où, et comment. Ce fut sur la couverture d’un livre ancien qu’il trouva l’ode Λέγουσιν αἱ γυναῖκες, au rapport de Victorius, qui l’a insérée au XVIIe. chap. du XXe. livre de ses diverses leçons. Jusque-là, on n’avait rien vu d’Anacréon, que ce qu’Aulu-Gelle et l’Anthologie en avaient conservé. Le hasard fit tomber entre les mains du même Henri Étienne deux manuscrits, contenans diverses pièces de ce poëte. Il eut l’obligation du premier à Jean Clément, Anglais, domestique de Thomas Morus, et apporta le second d’Italie en France, après un long voyage. Ayant conféré soigneusement l’un avec l’autre, il en forma l’édition qu’il publia pour la première fois à Paris, l’an 1554. Ce livre fut reçu diversement. La plupart des savans le regardèrent comme une heureuse découverte. Quelques-uns s’en défièrent. Robortel, dans sa dissertation de l’art de corriger les livres, ne reconnut pas celui-ci pour légitime. Fulvius Ursinus, dans son édition des lyriques grecs, n’y fit entrer des poésies d’Anacréon, que celles dont il trouva des vestiges dans les anciens auteurs, comme s’il avait tenu toutes les autres pour suspectes. Il serait à souhaiter que les deux manuscrits dont nous avons parlé, et qui sont les seuls qu’on ait vus, eussent été conservés. Henri Étienne, par malheur étant tombé dans une espèce d’aliénation d’esprit sur la fin de ses jours, les laissa périr avec beaucoup d’autres, qu’il ne communiquait à personne, pas même à son gendre Casaubon. Il avait traduit en vers français les mêmes odes d’Anacréon qu’il a mises en vers latins. Eas Anacreontis odas, dit-il dans la préface de ses Annotations sur Anacréon de l’édition de Paris, in-4o. en 1554, quas jam antè gallicas feceram, in aliquot amicorum gratiam latinè quoque aggressus sum vertere. Ce qu’on rapporte d’Isaac Vossius, qui disait avoir possédé un Anacréon où Scaliger avait marqué de sa main que Jean Dorat était auteur de la traduction latine de ce poëte, attribuée à Henri Étienne, doit être compté pour rien. Ou Vossius se trompait, ou Scaliger avait été mal informé. Henri Étienne, qui d’ailleurs n’était point plagiaire, était très-capable d’une version telle que celle-là ; et Dorat, si elle avait été de lui, n’aurait pas manqué de la réclamer. C’est sur elle que Remi Belleau fit la sienne en vers français, qui parut peut-être si belle à Henri Étienne, qu’après l’avoir lue il n’osa publier celle qu’il avait faite en la même langue. Richard Renvoisy, maître des enfans de chœur de la sainte chapelle de Dijon, fit, selon le témoignage d’Antoine du Verdier, page 34 de sa Bibliothéque, une autre traduction française des odes d’Anacréon. En quoi du Verdier apparemment s’est mépris. C’est, comme il est à présumer, la traduction de Belleau, que Renvoisy mit en musique l’an 1558 ou 59 ; et du Verdier même le donne assez à entendre, lorsqu’à la page 1222 il cite ce Renvoisy simplement comme musicien [* 1]. À l’égard de la traduction

  1. * Leclerc observe que le président Rouhier croyait que la traduction attribuée mal à propos par du Verdier à Renvoisy n’est pas de Boileau, mais du président Bégat.
  1. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, novembre 1684, article VIII.