Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
21
ANAXAGORAS.

le prépara à cette éloquence sublime et victorieuse, qui le rendit si puissant [a], et il lui apprit à craindre les dieux sans superstition [b]. Joignez à cela que ses conseils l’aidèrent beaucoup à soutenir le pesant fardeau du gouvernement [c]. Il se signala par la nouveauté et par la singularité de ses dogmes. Il enseigna qu’il y avait des collines, et des vallées, et des habitans dans la lune, et que le soleil était une masse de matière tout-à-fait en feu (B), et plus grande que le Péloponnèse [d]. Il disait que la neige est noire [e], et il en donnait une raison peu solide ; car il se fondait d’un côté sur ce que la neige est une eau condensée, et il supposait de l’autre que le noir est la couleur propre de l’eau [f]. Il croyait en général que les yeux ne sont point capables de discerner la vraie couleur des objets et que nos sens sont trompeurs ; et qu’ainsi c’est à la raison, et non pas à eux, à juger des choses [g]. Il disait aussi que les cieux étaient de pierre [h], et que c’était la vitesse de leur mouvement qui les empêchait de tomber [i]. D’autres assurent qu’il avouait que le ciel est de nature de feu quant à son essence, mais que par la véhémence de sa révolution ravissant des pierres de la terre, et les ayant allumées, elles devinrent astres [j] ; et qu’au commencement les animaux furent formés de la terre, et d’une humidité chaude [k] ; et qu’ensuite ils s’engendrèrent les uns les autres, les mâles au côté droit, et les femelles au côté gauche [l]. Il admettait autant de sortes de principes que de corps composés ; car il supposait que chaque espèce de corps était formée de plusieurs petites parties semblables, qu’il appelait homœoméries, à cause de cette conformité. Mais cela l’engageait à convenir d’une chose qui embarrassait son système [m], c’est que les semences, ou les principes de toutes les espèces, se trouvaient dans chaque corps. M. Moréri a très-mal représenté ce sentiment (C). Lucrèce l’avait néanmoins très-bien exposé, et assez solidement réfuté. Cela nous donnera lieu de proposer quelques réflexions sur cette doctrine. Ce qu’il y avait de plus beau dans le système d’Anaxagoras était qu’au lieu que jusques alors on avait raisonné sur la construction du monde, en n’admettant d’un côté qu’une matière très-informe, et de l’autre que le hasard, ou qu’une fatalité aveugle, qui l’eût arrangée ; il fut le premier qui supposa qu’une intelligence produisit le mouvement de la matière, et débrouilla le chaos (D).

  1. Voyez la remarque (E) de l’article de Périclès, à la fin.
  2. Voyez les remarques (A) et (B) de l’article Périclès.
  3. Voyez la citation (19).
  4. Diog. Laërtius, libr. II, num. 8.
  5. Cicero, Academ. Quæstion., libr. II, cap. XXIII et XXXI. Lactant., libr. V, cap. III.
  6. Sextus Empiricus, Pyrrhon, Hypotipos., libr. I, cap. XIII.
  7. Idem., adv. Mathem., libr. VII, p. 153.
  8. Voyez la remarque (I) au commencement.
  9. Diog. Laërt., libr. II, num. 12.
  10. Plut. de Placitis Philosoph., libr. II, cap. XIII. Je me sers de la version d’Amiot.
  11. Diog. Laërt., libr. II, num. 12.
  12. Id. ibid., num. 9.
  13. Voyez la remarque (G).