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ANAXAGORAS.

Ce fut sans doute la véritable raison pourquoi ce grand philosophe fut surnomme Νοῦς, c’est-à-dire l’Esprit ou l’Entendement [a]. Son orthodoxie ne fut pas assez épurée (E) : il y resta bien des défauts ; et cela est moins étrange, que de voir que les physiciens qui le précédèrent n’ont point connu la vérité dont il s’aperçut, et qu’il était si facile d’apercevoir, et que les poëtes avaient tant chantée (F). Il faudra examiner si la doctrine des homœoméries ne renfermait pas beaucoup de contradictions (G) : il me semble qu’elle en est toute farcie ; et qu’en général, les idées des anciens qui ont parlé du chaos, n’étaient pas moins embrouillées que le chaos même. Disons pour le moins, afin d’éviter tout air d’exagération, qu’elles n’étaient guère justes, et qu’ils n’ont pu dire que cet état de confusion ne subsistait plus (H). On conte qu’Anaxagoras avait prédit que la pierre qui tomba du ciel dans la rivière de la Chèvre, et qui fut gardée et vénérée comme une sainte relique, tomberait du corps du soleil (I). On lui attribue quelques autres prédictions [b]. Il cultiva beaucoup la géométrie [c] ; et l’on trouva que, dans sa prison, il avait écrit sur la quadrature du cercle [d]. Son esprit vaste suffisait à tout : les plus difficiles phénomènes de la nature, les comètes, la voie de lait, les tremblemens de terre, les vents, le tonnerre, les éclairs [e], le débordement du Nil [f], les éclipses, et semblables choses, dont il inventa des raisons ; tout cela joint aux spéculations astronomiques et géométriques ne l’empêcha pas d’étudier les poésies d’Homère, avec l’attention d’un homme qui veut découvrir des secrets, et enrichir la littérature. Il fut le premier qui supposa qu’elles sont un livre de morale, où la vertu et la justice sont expliquées par des narrations allégoriques [g]. On rapporte diversement les circonstances et l’issue du procès d’impiété qui lui fut fait dans Athènes : les uns disent qu’il fut condamné, les autres qu’il fut absous (K). Périclès, qui le protégea en cette rencontre, s’était rendu suspect d’athéisme, pour avoir été instruit par un tel maître. J’en parle ailleurs [h]. Diogène Laërce, en rapportant un bon mot d’Anaxagoras, a commis une bévue de chronologie (L), dont je suis surpris qu’on ait tant tardé à s’apercevoir. La constance de ce philosophe, à la nouvelle de sa condamnation, et de la mort de ses fils, fut merveilleuse (M). Il comptait pour très-peu de chose de vivre ou de mourir hors de sa patrie [i] ; et il discernait fort bien quelles conditions sont les plus heureuses (N). Quelques auteurs ont débité qu’on ne le vit jamais rire, ni même sourire [j]. Cicéron lui don-

  1. Voyez la remarque (C), num. 2.
  2. Voyez la remarque (I).
  3. Proclus Diadochus, libr. II, in librum primum Euclidis.
  4. Plutarch, de Exilio, pag. 607.
  5. Diog. Laërt. libr. II, num. 9.
  6. Diodor. Siculus, lib. I, cap. XXXVIII.
  7. Diog. Laërt., libr. II, num. 12.
  8. Dans les remarques (G) et (D) de l’article Périclès.
  9. Voyez la remarque (M).
  10. Ælian Var. Histor., libr. VIII, cap. XIII ; Plutarque, dans la Vie de Périclès.