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ARÉTIN.

par M. Moréri sont une de ces pièces satiriques que l’on fait sur la mort des gens, et à qui l’on donne le titre et la forme d’épitaphe. Combien en fit-on de semblables sur le cardinal de Richelieu, et sur le cardinal Mazarin ! Ceux qui font l’éloge des hommes illustres, et qui, à l’exemple de Paul Jove, se plaisent à rapporter leurs épitaphes, devraient toujours expliquer si ce sont des vers qui aient été gravés effectivement sur le tombeau, ou s’ils ont été simplement un jeu d’esprit. Si l’on avait eu cette précaution à l’égard de l’Arétin, on ne verrait pas dans le Théâtre de Paul Frehérus, et dans le Felix Litteratus de Spizelius [1], que les quatre vers en question se lisent sur le tombeau du personnage à Venise [2]. Un théologien d’Utrecht assure que l’épitaphe de Pierre Arétin, insérée dans les éloges de Paul Jove, et celle que Pazzi a rapportée, témoignent que c’était un grand apôtre de l’athéisme. « Aretini epitaphium, apud Jovium in Elogiis virorum doctorum, dit-il [3], et alterum, apud Giuzeppe Pazzi, indicat qualis et quantus atheismi præco fuerit ; sic enim Pazzi in libro cui tit. Continuatione della monstruosa farina ; Venetiis, 1609 : « Qui giace l’Aretini poëta Tosco [4],

 » Che disse mal d’ogn’un fuor che di Die ;

 » Ma si scuso dicendo, no’l [5] conosco. »
Aliter sic : « Qui giace estinto quell’ amaro Tosco,

 » Ch’ogn’ huom vivendo con mal dir trafisse.

 » Vero è che mal di Dio giamai non disse,

 » Che si scuso dicendo io no’l conosco. »
Sur cela, j’ai à dire premièrement, que Paul Jove ne rapporte point l’épitaphe de Pierre Arétin. Comment la rapporterait-il, puisqu’il mourut avant lui ? C’est celle de Léonard Arétin qu’il rapporte ; mais elle ne contient rien qui donne la moindre atteinte au christianisme du défunt : elle ne touche à la religion, ni de près, ni de loin. En second lieu, il n’y a nul fond à faire sur les deux épitaphes italiennes ; car elles ont été faites sans aveu, et n’ont point été gravées sur le tombeau. Ce fut un jeu d’esprit de quelque poëte satirique. Spizelius a copié presque mot à mot tout le passage de Voétius sans le citer [6]. Notez que Lorenzo Crasso [7] insinue encore plus clairement que Moréri, que les quatre vers latins sont sur le tombeau de cet athée à l’église de Saint-Luc.

Mettons-ici un bon Supplément [8]. « C’est la coutume, parmi les catholiques, d’attacher à quelque colonne, ou ailleurs, près du tombeau des morts, et surtout des morts de réputation, des inscriptions funèbres en papier. La vérité est que ces inscriptions sont et doivent être toujours à la gloire du défunt. Mais l’Arétin ayant été un homme d’un libertinage distingué, il est fort possible que quelque railleur, pendant ou après l’enterrement, ait porté dans l’église de Saint-Luc, l’épitaphe rapportée par Moréri, et par tant d’autres avant lui. C’est ainsi qu’il faut entendre les paroles du Ghilini, qui s’en est même expliqué assez clairement dans ce sens, quand, après avoir dit, e sopra il suo sepolcro fù posto questo epitafio,

 Condit Aretini cineres, etc.,


 il ajoute immédiatement, fù parimende appeso alla sua tomba quest’ altro quasi tradotto dal sudetto, che va attorno nella bocca sino delle persone idiote,

Qui giace l’Arétin, etc.


L’épitaphe italienne, de la manière dont le Ghilini la rapporte, est plus correcte de beaucoup qu’elle n’est dans le Pazzi, dans Voétius, ni dans Moréri, et je ne comprends pas ce dernier, quand il dit qu’elle est plus ingénieuse que la latine. Il me paraît aussi que lui et le Ghilini se sont trompés, d’avoir pris l’italienne pour une copie de la latine. C’est à mon avis tout le contraire ; et ce qui me le persuade, c’est que l’italienne est rapportée dans les nouvelles Récréations imprimées sous le nom de

  1. À la page 111.
  2. Venetiis sepultus jacet, cum hoc Epitaphio, Condit Aretini, etc. Paulus Freher., in Theatro Viror. illustrium, pag. 1461.
  3. Voetius, Disput., tom. I, pag. 206.
  4. Il fallait Tosco.
  5. Il fallait io no’l.
  6. Spizelii Scrutinium Atheismi, pag. 18.
  7. À la page 38, du premier tome de ses Éloges.
  8. M. de la Monnoie, remarques manuscrites.