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ARISTÉE.

la plus commune ; il dit qu’Apollon était père d’Aristée. Quid Aristæus qui olivæ dicitur inventor Apollinis filius [1] ? Parlons de Cyrène : elle était fille d’Hypseüs roi des Lapithes, fils de Peneüs et de Creuse [2]. Celle-ci était fille de la Terre ; Peneüs était fils de l’Océan. Cyrène méprisait les occupations des autres filles et leurs divertissemens de table [3] ; et se souciant très-peu de dormir la grasse matinée [4], elle n’aimait que la chasse, et faisait un grand carnage de bêtes féroces. Apollon l’ayant rencontrée, lorsqu’elle se battait seule avec un lion, demanda à Chiron qui elle était, et s’il ne ferait pas bien d’user de main mise, et de coucher avec elle ?

............ Ὁσία
Κλυτὰν χεῖρά οἱ προσενεγκεῖν ;
Ἦ ῥὰ καὶ ἐκ λεχέων
Κεῖρεν μελιηδέα ποίαν [5] ;

Fas-ne est illustrem manum ei admovere ?
Utrum et ex stratis tondere mellitam herbam ?

Chiron, commençant par répondre à la dernière demande, représenta que les amans se doivent servir de la clef du cœur, c’est-à-dire de paroles douces et adroites, qui persuadent à la belle d’accorder ce qu’ils désirent. Il ajouta que, parmi les dieux et parmi les hommes, la pudeur s’oppose à la précipitation avec laquelle on prétendait débuter par la jouissance, et s’expliquer là-dessus fort nettement :

....Καὶ ἔν τε θεοῖς
Τοῦτο κἀνθρώποις ὁμῶς
Αἰδέοντ᾽ ἀμϕαδὸν ἁδείας
τυχεῖν τὸ πρῶτον εὐνᾶς. [6].

Et inter deos et homines pariter verecundantur apertè postulato dulci frui primùm cubili.

« Au reste, continua-t-il, c’est par un effet visible de votre grande civilité, que vous me faites l’honneur de m’interroger : vous me demandez l’extraction de cette fille, vous qui savez toutes choses. » Voilà le sens de Pindare : je ne prétends point donner une traduction de mot à mot, il me suffit de représenter la pensée. Or, si c’est là ce qu’il veut dire, qui pourrait voir sans indignation la licence d’un auteur français, qui l’a fait parler ainsi ? « Est-il permis de la voir ? Puis-je bien m’en approcher ? Ne serai-je point téméraire si je prends sa belle main, et si je cueille sur sa bouche une de ces roses vermeilles que j’y vois peintes ? Mais le Centaure, en souriant, lui répondit de la sorte : Un chaste amour, Apollon, doit être toujours caché, et le beau sexe, parmi les dieux, comme parmi les mortels, n’accorde point ses faveurs aux yeux du monde. C’est sans doute cette raison qui vient de vous faire parler avec tant de retenue. Un amant moins chaste que vous n’aurait pas eu tant de respect, et c’est à vos bonnes mœurs, plutôt qu’à mes enseignemens, que vous devez cette modestie [7], » Cette traduction est contraire à l’original, et ne se soutient point dans ses faussetés ; car si l’on suppose qu’Apollon ne s’exprima point grossièrement, mais honnêtement et chastement, la réponse de Chiron est ridicule et contradictoire. La fin fut qu’Apollon, sans nul délai, enleva Cyrène, et la transporta en Afrique, et jouit d’elle sur-le-champ.

Ὠκεῖα δ᾽ ἐπειγομένων ἤδη θεῶν
πρᾶξις, ὁδοί τε βραχεῖαι.
Κεῖνο κεῖν᾽ ἆμαρ διαίτασεν·
θαλάμῳ δὲ μίγεν
ἐν πολυχρύσῳ Λιϐύας [8].

Celer autem est properantium jam deorum actio, viæque breves. Illud illa dies peregit. In thalamo autem Libyæ divite auri congressi sunt.

Chiron eût voulu qu’il eût poussé les beaux sentimens, et filé le parfait amour ; mais les dieux des poëtes, comme l’observe Pindare, ne s’accommodaient pas de cette patience ; ils expédiaient promptement les choses ; ils allaient au fait par les chemins les

  1. Idem, de Naturâ Deorum, lib. III, cap. XVIII.
  2. Pindari Ode IX Pythior., pag. 433.
  3. Idem, ibid., pag. 434.
  4. Τὸν δὲ σύγκοιτον γλυκὺν
    παῦρον ἐπὶ βλεϕαροις
    Ὓνον ἀναλίσκοισα, ῥέποντα πρὸς ἀῶ.

    Exiguum autem somnum concubitorem suavem in palpebris impendens, quùm adventaret aurora. Pindari Ode IX Pythior., pag. 434.

  5. Idem, ibid., pag. 437.
  6. Idem, ibidem.
  7. Notes sur l’Aristée de Virgile, traduit en français, et imprimé à Lyon, l’an 1668, pag. 28, 29.
  8. Pindari Ode IX Pythior., pag. 443.