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ARISTÉE.

plus courts, et fort vite à l’abordage, et de but en blanc à la jouissance, ou de gré ou de force. Ils prenaient le roman par la queue [1], et ils disaient comme Borée,

Apta mihi vis est [2].


Cyrène conçut, et mit au monde notre Aristée. Notez que Virgile [3] et Hygin [4], qui la font fille de Pénée, suivent en cela une ancienne tradition [5]. C’est pourquoi nous pouvons dire que Frischlin a eu grand tort de blâmer Boccace, et d’ignorer ce qu’ils avaient affirmé. Constat non rectè scripsisse Bocatium, l. 7 Geneal., c. 28, dum asserit Cyrenen Penei fuisse filiam [6]. Apollonius suppose qu’elle était bergère, et qu’elle avait résolu de vivre dans le célibat ; mais qu’Apollon qui l’enleva ne lui permit point de conserver sa virginité [7].

(B) Il fut l’inventeur du secret de tirer le miel, de faire l’huile et le fromage. ] Diodore de Sicile rapporte qu’Aristée ayant appris des nymphes qui le nourrirent l’art de cailler le lait, et de préparer des ruches, et de cultiver les oliviers, fut le premier qui communiqua aux hommes ces trois inventions. Les commodités qu’ils en tirèrent les remplirent d’une telle reconnaissance, qu’ils lui rendirent les mêmes honneurs divins qu’à Bacchus. Cet historien dit aussi que les nymphes lui imposèrent trois noms, celui de Nomius, celui d’Aristæus, et celui d’Agreus [8]. Cela s’accorde assez bien avec Pindare [9]. Mais notez qu’il dit que les Heures et la Terre, auxquelles Mercure porta ce petit enfant, le nourrirent de nectar et d’ambroisie. Notez aussi que d’autres disent qu’Aristée ayant inventé dans l’île de Céa la préparation du miel et celle de l’huile, et ayant fait lever les vents qu’on nommait Étésiens, fut surnommé Jupiter Aristæus [10], et Apollon Agreüs et Nomius [11]. Le surnom de Nomius lui convenait à cause du soin des bestiaux, et celui d’Agreüs à cause de l’application à la chasse [12]. Voici une autorité curieuse touchant cette application : Ceux qui attrapent les loups et les ours avec des fosses et des piéges, font prières à Aristeüs, pour ce que ce fut le premier qui inventa la manière de les prendre aux piéges et avec des laqs courans. C’est un passage du Plutarque d’Amiot ; en voici l’original : Εὔχονται δ᾽ Ἀριςαίῳ δολοῦντες ὀρύγμασι καὶ βρόχοις λύκους καὶ ἄρκτους ὃς πρῶτος θήρεσσιν ἔπηξε ποδάγρας [13]. Aristæo vota faciunt foveis actis, aut laqueis positis, quilupis aut ursis insidiantur, ille feris primus pedicas quia tendere cœpit. Le scoliaste d’Apollonius n’explique pas de la même sorte l’étymologie de ces deux surnoms. Il fonde celui de Nomius sur ce que Cyrène eut affaire avec Apollon pendant qu’elle était bergère, et celui d’Agreüs, sur ce que l’action se passa au milieu des champs. Il ajoute que, selon d’autres, l’étymologie vient de ce qu’Aristée enseigna l’agriculture aux bergers. Ἀγρέα καὶ Νόμιον, dit-il, τὸ μὲν, ὅτι ἐν ἀγρῷ ἐμίγη τῇ μητρὶ αὐτοῦ ὁ Ἀπόλλων. Νόμιον δέ, ὅτι νεμούσῃ ἐμίγη. οἱ δέ, ὅτι τὴν κατὰ τοὺς ἀγροὺς θεραπείαν τοῖς νομεῦσι εἰσηγήσατο [14]. L’endroit où Apollonius dit que les habitans de Thessalie donnèrent ces deux surnoms à Aristée, contient des choses qu’il est bon de mettre ici. On y trouve qu’Aristée fut élevé dans l’antre de Chiron ; et que, lorsqu’il fut adulte, les Muses le marièrent, et lui enseignèrent la médecine et les sciences divinatrices, et le préposèrent à tous leurs troupeaux [15]. On trouve dans un autre endroit du même poëte, qu’il inventa le miel et l’huile [16]. Il dit dans

  1. Conférez la Ve. scène des Précieuses ridicules.
  2. Ovidius, Metamorph., lib. VI, vs. 690.
  3. Virgil., Georgic., lib. IV, vs. 355. Voyez aussi Servius sur le 317e. vers de Virgile.
  4. Hygin., cap. CLXI.
  5. Scholiast. Apollonii in lib. II Argonaut., vs. 502.
  6. Frischlin., in Callimach. Hymn. II, pag. 392, edit. Ultraj. an. 1697.
  7. Apollon., Argon., lib. II, vs. 502 et seq.
  8. Diod. Sicul., lib. IV, cap. LXXXIII, pag. 167.
  9. Pindari Ode IX Pythior., pag. 441.
  10. Scholiast. Apoll. in Argon., lib. II, vs. 500.
  11. Apollon., Argon., liv. IV, vs. 1218, fait mention d’un temple d’Apollon Nomius.
  12. Benedictus in Pindarum, Ode IX Pythior., pag. 442.
  13. Plutarch., in Amator., pag. 757.
  14. Scholiast. Apollonii, in lib. II, vs. 509.
  15. Apollon., Argonaut., lib. IV, vs. 512 et seq.
  16. Idem, ibidem, vs. 1132.