Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
379
ARIUS.

tations, que de raisons, que de conciles, et d’autres semblables armes. L’auteur du Commentaire philosophique s’étonna avec raison qu’un professeur en théologie, qui passait en France pour un homme fort éclairé dans l’histoire ecclésiastique, eût débité une ignorance comme celle-là[1]. Mais il fut encore plus étonné de ce qu’après le grand jour où le père Thomassin avait mis la chose, un autre écrivain français eût dit, en s’adressant à M. l’évêque de Meaux. J’ai à vous dire, monseigneur, que dans toute l’histoire ancienne et moderne tout ce qu’il y a eu de voies de fait exercées par les princes en matière de religion, n’a été jamais regardé que comme des spectacles d’horreur, et que le nom de ces princes-là ne se profère encore aujourd’hui qu’avec exécration. Je mets ici la réflexion du commentateur : Quoi ! les Constantin, les Théodose, les Honorius, Les Marcien, les Justinien, qui ont fait exécuter tant de lois pénales contre les sectaires, qui ont condamné à mort ceux qui persévéraient dans l’idolâtrie païenne, dans le manichéisme, etc., ou ceux qui liraient ou garderaient les livres des hérétiques, sont des noms qu’on ne profère encore aujourd’hui qu’avec exécration ? Comment prouverait-on cela[2] ? Le théologien qui publia le Préservatif a mieux étudié les antiquités ecclésiastiques depuis sa transplantation en Hollande. Il a appris à réfuter la tolérance par l’autorité des Constantin, des Théodose et des Charlemagne. Le paganisme, dit-il[3], serait encore debout, et les trois quarts de l’Europe seraient encore païens, si Constantin et ses successeurs n’avaient employé leur autorité pour l’abolir. Il trouvait fort mauvais en France qu’on employât l’autorité du bras séculier, et il trouve fort mauvais en Hollande qu’on dise qu’il ne le faut pas employer : et après cela, qu’on nous vienne dire qu’en changeant de climat, on ne change point d’opinion :

Cœlum, non animum mutant qui trans mare currunt[4].


Il y a une foi locale et une foi à temps, dont on n’a point encore parlé dans les divisions du genre en ses espèces. Voyez la remarque (H) de l’article de saint Augustin.

(H) …. et l’on s’est extrêmement prévalu de ce qu’il a dit touchant la croyance des pères qui ont précédé l’arianisme. ] Il a soutenu dans ses Lettres pastorales, que ces pères ne croyaient pas l’égalité des personnes de la Trinité, et qu’ils admettaient une génération temporelle du Verbe, laquelle avait conféré à la seconde personne sa pleine et sa parfaite existence. Il est clair que ce sentiment ne diffère de l’arianisme que du plus au moins, et qu’il renverse la Trinité éternelle des personnes. M. de Meaux a poussé là-dessus M. Jurieu avec tant de force[5], qu’il l’a contraint d’abandonner le silence à quoi il l’avait réduit sur d’autres articles ; mais la réplique a fait plus de tort que n’aurait fait le silence ; il a fallu se contredire et désavouer bien des choses ; et après tout, on n’a rien gagné. M. de Meaux est revenu à la charge, a poussé son homme à bout, et l’a réduit à n’oser plus se montrer : de sorte qu’entre les éloges les plus caractéristiques dont on régale ce prélat, on n’oublie point qu’il a fait taire la critique la plus hardie[6]. À peine M. Jurieu était-il sorti des mains de M. de Meaux qu’il tomba dans celles de Carus Larebonius, qui lui fit voir que si les pères des trois premiers siècles avaient eu sur la Trinité et sur la génération du Verbe le sentiment qu’il leur impute, il s’ensuivrait nécessairement que l’hérésie des ariens, ni celle des sociniens ne seraient pas mortelles et fondamentales[7]. Il faut bien prendre garde que les victoires remportées sur ce ministre ne regardent que ses sentimens particuliers, et nullement la doctrine de son église. C’est de quoi l’Histoire des ouvrages des savans[8] a donné avis au pu-

  1. Comment. Philosophiq., pag. 354 du Supplément.
  2. Là même, pag. 355.
  3. Droits des deux Souverains, pag. 280.
  4. Horat., Epist. XI, lib. I, vs. 27.
  5. Dans ses Avertissemens.
  6. Voyez le Discours prononcé par M. de la Bruyère, lorsqu’il fut reçu à l’Académie Française.
  7. Voyez Janus Cœlorum reserata, pag. 119, et seq.
  8. Mois de mai 1692, article IX, pag. 391 et suiv.