Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/396

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
386
ARMINIUS.

enchantans ; c’est ce qui éblouit, c’est ce qui fait perdre terre. C’est un écueil dont les jeunes gens, qui ont l’esprit fort subtil, ne peuvent être trop admonestés de se bien donner de garde.

(C) On l’avait bien calomnié au sujet de son voyage d’Italie. ] Parmi tant de maladies populaires de l’esprit humain, je ne sais s’il y en a de plus blâmables et de plus fécondes en mauvais effets, que la coutume de lâcher la bride aux soupçons. C’est un chemin bien glissant ; on y est bientôt éloigné du point d’où l’on est parti. On passe facilement d’un premier soupçon à un second ; on ne s’arrête guère à la possibilité ; on court vite à la probabilité, à la grande vraisemblance ; et bientôt ce qui ne passait que pour apparent est débité comme certain et incontestable, et l’on fait courir en peu de temps par toute une ville cette prétendue certitude. Les grandes cités sont plus sujettes à ce désordre que les autres. On débita dans Amsterdam qu’Arminius avait baisé les pieds du pape, qu’il avait eu des liaisons avec les jésuites, qu’il s’était fait connaître à Bellarmin, qu’il avait abjuré la religion réformée. Tout cela était faux ; et néanmoins on fit impression par ces mensonges sur l’esprit des magistrats qui entretenaient ce jeune homme. Laissons parler l’auteur de son oraison funèbre. Inter damna (itineris Italici ponebat) quòd in amplissimi senatùs Amsterdamensis offensiunculam ob id factum tunc temporis incurrisset, suffundentibus frigidam quibusdam, quos omninò præstitisset judicia in ipsius reditum suspendere. Hinc ergò sumptâ occasione, spargebatur in vulgus illum pontificis soleam deosculatum, quem nonnisi in confertâ turbâ, ut reliqui spectatores, vidisset ; nec soleat bellua honorem istum nisi regibus ac principibus deferre [1] : jesuitis adsuevisse, quos nunquàm audivisset : Bellarmino innotuisse, quem nunquàm conspexisset : Religionem orthodoxam abjurâsse, pro quâ paratus esset ad sanguinis usque profusionem decertare [2].

(D) Le chagrin de voir sa réputation flétrie.… affaiblit sa santé... et le fit mourir en 1609. ] Il y a beaucoup d’apparence que ce chagrin contribua plus qu’aucune autre chose à sa mort prématurée. Ce fut un mauvais levain qui aigrit les humeurs peccantes, et qui compliqua sa maladie en mille manières. Quùm indomita mali pertinacia ipsi quoque arti (Medicinæ) faceret opprobrium : altiùs enim defixa quàm ut evelli posset, nova in dies excitabat symptomata, febres, tussim, hypochondriorum extensionem, expirandi difficultatem, oppressionem à cibo, laboriosos somnos, atrhopiam, arthritidem, nullamque ægro pausam vel requiem concedebat : accessêre posteà dolores in intestinis, ilio, et colo, cum obstructione nervi optici sinistri et ejusdem oculi obfuscatione [3]. On l’entendit souvent gémir, et s’écrier comme autrefois un prophète, malheur à moi ! ma mère, pourquoi m’avez-vous mis au monde ! etc. Rapportons un long passage de Bertius. Quid mirum si commotus fuerit famæ suæ, salutis, et laborum dispendio ; quùm ne viro bono quicquam famâ suâ sit antiquius, neque Christiano salute, neque S. Theologiæ doctori petitis ex scripturâ demonstrationibus ? Oppressio, inquit Siracides, insanire facit sapientem. Eadem huic dolorem, ex dolore morbum conciliavit, ex morbo mortem. O tetrum, et viperinum, exque imo tartaro excitatum malum ! Quoties illum ex prophetâ privatìm etiam cum gemitu exclamantem audivimus ! Væ mihi, mater mea, quare genuisti me, virum discordiæ in universâ terrâ ? Nec fœneravi, nec fœneravit mihi quisquam ; et tamen omnes maledicunt mihi. Revocavit tamen seipse ad rationis et tranquillitatis septa [4]. On ne peut songer à cela, sans déplorer la vanité des choses humaines. Nous regardons la stupidité comme un grand malheur. Les pères qui ont les yeux assez bons pour s’apercevoir de la bêtise de leurs fils, s’affligent extrêmement : ils leur voudraient voir un grand génie, une haute science, et, s’ils se trouvent dans ce cas-là, leur joie est presque infinie. C’est bien souvent ignorer ce

  1. Bertius se trompe ici ; il y a de simples particuliers qui sont admis à cet honneur.
  2. Bertius, in Oratione funebri Jacobi Arminii.
  3. Idem, ibid., folio **ij verso.
  4. Idem, ibid., fol. ** verso.